Ed. Casterman junior, septembre 2012, 92 p. 6,75 €
Parfois, il tient du devoir de
« pointer du doigt » un livre dont le contenu est tellement accablant
que la rédactrice que je suis hésite à en écrire un compte rendu. Or, en
littérature jeunesse, l’hésitation s’estompe, car cette dernière
s’adresse à un public jeune, et de ce fait, la rigueur dans le contenu
du roman doit être irréprochable.
« Tout le monde est capable d’aimer
lire. Mais la lecture, comme la vie, est une histoire de rencontres. Il
suffit de rencontrer le bon livre c’est tout… »
…et Nathan, professeur des écoles de CM2
en est intimement persuadé. Il n’a pas tort, car il suffit d’un livre
pour déclencher chez l’enfant la curiosité et la volonté d’en découvrir
d’autres. Et fort de ce constat, Nathan veut désacraliser l’objet livre
en invitant un auteur dans sa classe : un écrivain en chair et en os
devant les enfants !
Alors, il organise un concours de
lectures : les enfants choisissent un livre, le lisent, le présentent,
puis chacun vote pour le roman le plus attrayant. Or, à l’issue de ce
jeu, Les Misérables de Victor Hugo remportent l’adhésion ! Le
jeune lecteur ne sait pas sans doute qu’il s’agit de deux tomes de plus
de huit cents pages difficilement à la portée d’élèves de dix ans, mais
passons…
Nathan est bien coincé car il a
promis de faire venir l’auteur du livre gagnant, or tout le monde sait
que Victor Hugo est bien mort, sauf peut-être certains de sa classe CM2
qui ont bien dû entendre que c’est un vieux écrivain, ayant vécu dans un
autre siècle, mais de là à conceptualiser l’idée de mort, c’est une
autre histoire !
« – Mais m’sieur, vous nous aviez pas
dit qu’on devait choisir le livre d’un vivant. Comment on peut savoir ?
Peut-être que quand il l’a écrit son livre, il était vivant… Et
maintenant, il est mort, Victor Hugo, et personne ne nous l’a dit.
Alors, c’est n’importe quoi, vos promesses ! »
Mouloud assène « une promesse, c’est une
promesse ! », donc Nathan, à défaut de reconnaître qu’il y avait une
faille dans les règles du jeu, préfère mentir à ses élèves et monter
« le bobard » du siècle plutôt qu’expliquer les choses simplement et
choisir un écrivain vivant. Son honneur est en jeu, voyons, il est
obligé d’honorer sa promesse, et tant pis si Victor Hugo n’existe plus :
« Je suis perdu ! Je suis un homme fini ! Dès demain matin, j’enverrai
ma démission à l’Education Nationale. Je n’ai plus qu’à me retirer dans
un monastère pour y méditer jusqu’à la fin de ma vie sur le sens d’une
promesse non tenue. (…) C’est mon honneur qui est en jeu. Et, avec lui,
celui de mes parents, anciens instituteurs, et de l’Education Nationale
toute entière ! »
Du coup qu’est ce un mensonge éhonté à des enfants pourvu que l’honneur de ses parents et celui de l’institution soient saufs ?
Tout problème a une solution : Nathan
démarche une agence de sosies pour trouver celui de Victor Hugo, mais
comme ce n’est pas une star à la mode, il ne trouve pas. Et puis, au
détour d’un chemin, il croise un SDF qui, avec un bon bain, s’avère le
portrait craché du grand homme ! En plus, il s’appelle Hugo Victor, et
c’est un écrivain raté admirateur de son homonyme inversé. Ça fait
beaucoup, mais peut être que le jeune lecteur ne s’apercevra de rien,
quoique ?
Hugo Victor accepte la farce mise en place par Nathan : faire venir l’auteur des Misérables
en personne dans sa classe ! Ce sera « le poisson d’avril du mois
d’octobre » pense-t-il (!?). Tous deux préparent la rencontre, les
questions possibles, la biographie… Il ne s’agit pas de faire d’impair !
Arrive le jour J, et là, force est de
constater que Yaël Hassan traite la rencontre (qui est quand même le
thème central du roman) en peu de lignes :
« – Depuis combien de temps écrivez-vous ?
– J’avais à peine seize ans, en 1818, lorsque j’écrivis mon premier roman Bug Jargal, qui ne sera, du reste, publié qu’en 1826. Ma première publication fut celle de mes Odes et Poésies diverses, en 1822.
Nathan jubile. Promesse tenue et pari gagné, s’enorgueillit-il, tandis que Hugo, d’une main de maître, poursuit son numéro ».
L’honneur est sauf. Nathan est fier,
l’Education Nationale peut se targuer d’avoir un élément tel que lui…
sauf qu’il oublie de prévenir ses élèves du coup monté, et puis, de
toute façon, un enfant de CM2 n’a pas besoin de savoir la vérité, il la
devinera bien lui-même !
Ni sa collègue, ni sa directrice (une
certaine Madame Flaubert) ne l’encouragent à abandonner. D’ailleurs
s’ensuit un drôle de dialogue entre eux :
« – Vraiment, mais Victor Hugo est mort, mon petit Nathan.
– Moi je le sais, madame, mais la
plupart de mes élèves l’ignoraient. C’est pour leur faire une farce que
j’ai eu cette idée de faire venir vendredi un faux Victor Hugo dans la
classe ».
(…)
– Imaginez le scandale quand, en première page des journaux, il sera indiqué que l’école Georges-Sanda accueilli, dans ses murs, l’auteur Victor Hugo ? »
Et oui, Georges Sand, chers lecteurs,
s’écrit avec un S et un tiret, et en littérature jeunesse ce sont des
coquilles impardonnables…
On sort de cette lecture agacé(e), par
cette supercherie volontairement entretenue jusqu’à la fin, car d’un
banal jeu littéraire en classe, on passe à une mauvaise blague, mais
aussi sidéré(e) par ce qui est présenté comme de l’humour et porte à
faux le métier d’enseignant. En effet, la directrice n’hésite pas à
douter ouvertement de la santé mentale de son collègue :
« Elle est inquiète pour ce jeune homme.
Il avait pourtant donné toute satisfaction l’année dernière et voilà
qu’il disjoncte complètement. Déjà l’autre jour, en salle des maîtres,
elle l’avait surpris en train de tenir des propos incohérents. Et là,
elle a bien du mal à saisir le sens de ses propos ».
D’ailleurs, elle lui conseille de se reposer dès le mois d’octobre !
« – Et je vous enjoins, également, de
profiter de vos prochaines vacances pour vous mettre au vert. Allez donc
vous reposer quelque part. Vous en avez grand besoin, il me semble ».
Moi-même étant professeur des écoles en
CM2 et accueillant chaque année un auteur dans ma classe, je ne pouvais
que me réjouir de lire un livre sur le sujet. Or, les poncifs en tout
genre (je connais les parents donc je dis Amen à vos lubies,
l’instituteur est vite fatigué, la directrice est un supérieur
hiérarchique alors que ce n’est pas un fait…), l’idée de farce basée sur
un mensonge (je préfère présenter un faux Victor Hugo plutôt que d’être
honteux devant mes élèves), et surtout, la non-révélation de la vérité
(car le roman se termine par une visite de Paris par le sosie et une
diatribe accablante sur la Tour Eiffel) font que Sacré Hugo n’est pas à laisser entre toutes les mains, et certainement pas entre celles esseulées d’une jeune lecteur.
Pourtant l’idée était bonne, voire
sympathique, et un récit basé sur le « faire-semblant » ou le jeu
littéraire comme il était annoncé au début, avec la complicité des
enfants, aurait été davantage cohérent. Présenter le sosie comme un
comédien admirateur de Victor Hugo, et rendre les enfants acteurs du
jeu, auraient permis la mise en place d’un jeu théâtral. Or, finalement
les enfants deviennent les victimes collatérales de l’orgueil mal placé
de leur maître (trop) dynamique, et ils ne sont en aucun moment au
centre des enjeux, car même leur rencontre avec le pseudo Victor Hugo
subit une ellipse de taille.
Le professeur des écoles est un passeur
de culture et de savoirs, qui prend le temps d’expliquer les choses,
d’ouvrir les enfants à la curiosité, à l’émerveillement, et qui a le
souci constant de les placer au centre de son projet de classe. Ce n’est
pas un copain qui monte un guet-apens à des élèves jugés d’emblée
ignorants, prêt à tout, quitte à être ridicule pour honorer une promesse
irréalisable.