Actes Sud,traduit de l’anglais (USA) Anne-Laure Tissut, 240 p. novembre 2012, 21,80 €
Au
premier abord, le shérif adjoint de la bourgade de la Plata est un
brave type. Fruit du drôle de mariage entre un blanc raciste et une
noire, Ogden Walker n’a gardé de son père que l’amour de la pêche et
l’art de construire des mouches. Même si son travail consiste en grande
partie à aider autrui, le genre humain l’intéresse peu. Disons plutôt
qu’il lui fait peur comme il l’avoue à sa mère : « les gens m’effraient
». Il recherche la solitude mais ne rejette pas son prochain et reste
affable. Ogden est, selon son collègue et ami Fraga, un obstiné affublé
du « complexe du Sauveur », mais derrière une certaine nonchalance, se cache un être réellement complexe aux multiples contradictions.
« Lui non plus n’aimait pas les flics, même s’il voulait s’aimer lui-même ».
Pas facile d’endosser une fonction pour
laquelle finalement on a peu d’estime. Alors, Ogden Walker, lorsque la
saison de la pêche à la mouche est terminée, décide de s’adonner à son
autre passion, les morts :
« Ogden sentait son cœur battre
à tout rompre et il se demanda pourquoi. La réponse était évidente :
rien ne rend les gens plus intéressants que d’être morts. Triste à dire
mais vrai. Franchement, il n’avait aucune envie de voir des morts. Ça
lui flanquait la nausée, mais dieu que c’était excitant ».
Assez confiant, il décide donc de mener à
fond l’enquête sur le meurtre d’une vieille dame de La Plata, surtout
depuis qu’il s’est rendu compte qu’il est le dernier à l’avoir vue
vivante. De fil en aiguille, il va côtoyer un monde interlope fait de
prostituées, de drogués logeant dans des tipis au bord de la ville, et
de gens capables de supprimer leur semblable pour quelques billets
verts. Ogden se rend compte que la nature humaine est une fauteuse de
troubles par nature qui rend évidente l’absurdité du monde :
« Moi j’aime être au milieu de nulle part. C’est mieux d’être aux confins de nulle part ».
Servi par des dialogues
« métaphysiques » parfois, le récit se sert des ficelles du genre pour
proposer une réflexion qui va au delà de la simple enquête policière.
Dès lors, le lecteur se demande si finalement Ogden Walker n’est pas un
inadapté social ou quelqu’un qui vit tant bien que mal avec son mal être
grandissant. Les pistes multiples suivies par le shérif adjoint sont
autant d’interrogations que l’on se pose. Or, Percival Everett n’apporte
aucune réponse, même lorsqu’enfin le meurtrier est appréhendé.
« Je suis là, comme je suis, dépourvu de sens », se dit Ogden. Mais doit-on poser un sens à tout ce qui nous entoure et à ce que l’entendement humain ne comprend pas ?
La quatrième de couverture dit que
l’auteur, avec ce roman, invente « le polar suspect ». Polar
métaphysique conviendrait mieux… En tout cas, cette première incursion
dans le genre est une réussite. L’auteur ne déroge en rien à ses
« habitudes littéraires » : il continue sa réflexion sur les thèmes qui
lui sont chers : le racisme quotidien et l’adaptation sociale, tout en
proposant des scènes quasi surréalistes du même acabit que celles lues
dans Désert Américain ou Effacement.