Ed. Philippe Rey, mars 2013, traduit de l'anglais (USA) par Claude Seban, 235 pages, 17 euros
Le vieux Roi et la belle Damoiselle
Très
vite, il y a comme un "arrière goût" de Lolita de Nabokov: un homme
d'âge mûr Marcus Kidder, s'intéresse de près à une jeune fille Katya
Spivak, tout en lui donnant l'impression qu'elle est unique. Simplement
(et ouf) la comparaison s'arrête là. Katya est plus âgée, certes elle
n'est pas innocente, à la fois charmée et consciente de son attrait,
tout comme Lolita, mais la suite du récit s'inscrit davantage comme un
conte moderne où la lutte des classes, larvée, joue un rôle
prépondérant.
En effet, Kidder attire dans ses filets Katya non pas à cause de son
physique de rêve, mais parce qu'il est riche, cultivé, et use d'un
vocabulaire quelque peu suranné. Il n'en faut pas plus à Katya, elle la
nounou d'une famille de "mouches de mai", les Engelhardt, pour être
irrésistiblement attirée par la maison grande et chic de Bayhead
Harbor.
Or, au plus profond de son être, elle sait que ce n'est pas bien, qu'elle joue avec le feu, que même sa mère, qui n'est pourtant pas une référence, y verrait un mauvais plan. Justement, Katya ne veut surtout pas ressembler à Essie, sa maman, joueuse invétérée, menteuse et alcoolique; bref, elle ne veut plus être une Spivak, mais juste Katya, et Kidder peut l'aider à se sentir "autre":
"Katya se sentait bien loin de sa famille. Les Spivak éparpillés comme des créatures marines rejetées sur le rivage après une tempête, hébétées et frémissantes de vie, une vie urticante et venimeuse, mais la seule qu'ils connaissaient. Je ne suis pas des leurs! pensait Katya. Pas dans la maison de Mr Kidder."
Kidder a bien saisi ce fossé entre eux, au delà de celui de l'âge. C'est en la dépannant financièrement qu'il inaugure un contrat tacite : tu fais ce que je te dis, et je te paye. Katya accepte de poser pour le vieux peintre, car pendant ce temps là, elle est visible:
"Chez les Engelhardt, Katya Spivak était invisible (...) Chez elle, à Vineland, Kartya Spivak était généralement encore moins visible, car la maison était vide: les heures de travail de sa mère changeaient mystérieusement. Mais ici, dans le salon de Mr Kidder, Katya Spivak était pleinement visible."
De ce fait, on se demande où ce lien malsain va emmener le récit, car la jeune fille est sans cesse tourmentée par un sentiment ambivalent d'attirance-répulsion. Des émotions de Kidder, on ne sait rien, puisque le récit se focalise sur celles de la nounou.
Imperceptiblement, l'auteur transforme son intrigue en conte, sans oublier le méchant (le cousin), usant même des codes du genre et du vocabulaire spécifique.
Le mystérieux Mr Kidder est une lecture dérangeante à cause du tempérament des deux protagonistes et de la relation nouée entre eux. Katya est-elle déjà une manipulatrice malgré son âge? Kidder est-il un vieux pervers comme on aimerait le penser? Le dénouement est bien plus complexe que cela. Sur bien des points, on retrouve du Maureen Wendall (Eux du même auteur) dans le personnage de Katya: cette volonté farouche de sortir de son milieu, après avoir grandi au sein d'une famille démissionnaire, mais le traitement en est différent.
Enfin, l'ensemble est servi par une traduction de qualité, exprimant avec soin les nuances de l'âme, les subtilités des sentiments, les variations des genres.
Très bonne lecture.
Or, au plus profond de son être, elle sait que ce n'est pas bien, qu'elle joue avec le feu, que même sa mère, qui n'est pourtant pas une référence, y verrait un mauvais plan. Justement, Katya ne veut surtout pas ressembler à Essie, sa maman, joueuse invétérée, menteuse et alcoolique; bref, elle ne veut plus être une Spivak, mais juste Katya, et Kidder peut l'aider à se sentir "autre":
"Katya se sentait bien loin de sa famille. Les Spivak éparpillés comme des créatures marines rejetées sur le rivage après une tempête, hébétées et frémissantes de vie, une vie urticante et venimeuse, mais la seule qu'ils connaissaient. Je ne suis pas des leurs! pensait Katya. Pas dans la maison de Mr Kidder."
Kidder a bien saisi ce fossé entre eux, au delà de celui de l'âge. C'est en la dépannant financièrement qu'il inaugure un contrat tacite : tu fais ce que je te dis, et je te paye. Katya accepte de poser pour le vieux peintre, car pendant ce temps là, elle est visible:
"Chez les Engelhardt, Katya Spivak était invisible (...) Chez elle, à Vineland, Kartya Spivak était généralement encore moins visible, car la maison était vide: les heures de travail de sa mère changeaient mystérieusement. Mais ici, dans le salon de Mr Kidder, Katya Spivak était pleinement visible."
De ce fait, on se demande où ce lien malsain va emmener le récit, car la jeune fille est sans cesse tourmentée par un sentiment ambivalent d'attirance-répulsion. Des émotions de Kidder, on ne sait rien, puisque le récit se focalise sur celles de la nounou.
Imperceptiblement, l'auteur transforme son intrigue en conte, sans oublier le méchant (le cousin), usant même des codes du genre et du vocabulaire spécifique.
Le mystérieux Mr Kidder est une lecture dérangeante à cause du tempérament des deux protagonistes et de la relation nouée entre eux. Katya est-elle déjà une manipulatrice malgré son âge? Kidder est-il un vieux pervers comme on aimerait le penser? Le dénouement est bien plus complexe que cela. Sur bien des points, on retrouve du Maureen Wendall (Eux du même auteur) dans le personnage de Katya: cette volonté farouche de sortir de son milieu, après avoir grandi au sein d'une famille démissionnaire, mais le traitement en est différent.
Enfin, l'ensemble est servi par une traduction de qualité, exprimant avec soin les nuances de l'âme, les subtilités des sentiments, les variations des genres.
Très bonne lecture.