« L’ascenseur est dans une grande mesure un objet sous-évalué et sous-estimé. Il représente pourtant pour une ville ce que le papier est à la lecture ou la poudre à canon à la guerre. Sans ascenseur, il n’ y a plus de verticalité, donc plus de densité. »
Paul
Sneijder est un cas. En effet, victime d’un accident d’ascenseur
rarissime dans lequel il a perdu sa fille aînée, il parcourt depuis
toutes les revues spécialisées sur cette machine afin de trouver
peut-être un sens à son abîme de désespoir. Pourtant, il a encore une
épouse et deux fils, jumeaux de surcroît. Or, ils sont une piètre
compagnie : la compassion est un mot étranger à leur vocabulaire, et au
comportement de Paul, ils répondent par un sentiment de panique et une
réflexion récurrente : « il faut absolument que tu ailles voir
quelqu’un ». De toute façon, Paul remet en cause tout le « système »
familial dans lequel il évolue depuis plus de vingt ans. Son accident et
le décès de sa fille, issue d’un premier lit, font resurgir les
douleurs du passé, et les faiblesses… « Depuis que je suis sorti du
coma, j’ai l’impression d’avoir une perception plus affinée de la
réalité. » affirme-t-il. Comme remède aux concessions et au remords,
Paul choisit la dérision. Ainsi, Anna et les jumeaux, auront moins de
prise sur lui ; il va enfin pouvoir vivre sa vie comme il l’entend !
Pour cela, il commence par changer de travail et décide de devenir
« manwalker » c’est à dire promeneur de chiens…
Jean-Paul Dubois a signé ici un roman passionnant dans lequel les personnages proposent des points de vue différents face à la douleur. On ne sombre jamais dans le pathos, Paul s’y refuse d’ailleurs, simplement on découvre une nouvelle vision du monde, à travers la thèse de la verticalité et l’influence de l’ascenseur :
« nos vies ont des parcours étranges. Et les ascenseurs des pouvoirs singuliers. Parfois, ils vous entraînent dans leur chute. Parfois ils se contentent de saccager votre vie en vous gardant simplement avec eux. »
Paul est un cas pour « les autres » car, par le passé, il a renoncé à sa fille au nom de l’équilibre familial, et maintenant, il survit en adoptant une ligne de vie originale et en rien formatée. C’est un roman inclassable, profond et juste.
Ed. Points Seuil, septembre 2012, 235 pages, 6.7€