jeudi 24 octobre 2013

La chambre à remonter le temps, Benjamin Berton

Ed. Gallimard, 380 pages, 22 €. Septembre 2011 

"Tout est affaire de démesure"  

 

Un couple achète une maison. De l'euphorie des premiers mois, succède la routine des jours. Or, la chambre du milieu, déjà fermée lors de leur visite d'achat, attire étrangement notre narrateur. Il en fait son bureau, et se rend compte que, lorsqu'il s'y assoupit, le temps se dérègle. Bonds en avant, bonds en arrière Benjamin revit, révise, change quelques passages de sa vie. Mais à trop vouloir comprendre le pourquoi du comment du pouvoir de cette pièce, notre narrateur vacille. 

La propriété, "stade suprême du bonheur domestique à la française" s'avère être le point de départ de ce récit qui hésite, sans temps mort, entre la réalité routinière de l'existence, et la joyeuse surprise du fantastique. Au delà de cette mystérieuse chambre aux pouvoirs inquiétants, l'auteur analyse la vie de couple et les effets du temps sur lui. De "la forme la plus aboutie qu'à su composer l'homme pour ne pas verser dans le vide", le couple devient, en vieillissant, un simple fait "d'entretenir des liens de dépendance toxiques difficilement dissociables." Le narrateur, Benjamin, n'est plus heureux avec Céline. Leur petite fille est le témoin (indifférent) de la désintégration de leur union. Or, dans cette maison, il n'y a pas que l'ennui et la routine qui prennent de l'ampleur. Benjamin est de plus en plus persuadé des effets surnaturels de la chambre, au point que cette énigme en devient une obsession. Cependant, astucieusement, le lecteur se demande si ce "sentiment de réalité vacillante" n'est pas qu'un symptôme de plus venu s'ajouter à l'état dépressif du narrateur. La seule conclusion bien plausible est que l'axe temporel ressemble à l'usure de la vie à deux, il se désagrège.... L'auteur a choisi l'auto fiction dans ce sixième roman. Il est son propre narrateur, et en profite pour aligner quelques vérités bien senties sur la propriété, les agents immobiliers, le voisinage, le sentiment d'insécurité. En fait, le point central est la vie à deux et la difficulté de rester ensemble après de nombreuses années. pour éviter les écueils moralisateurs et tomber dans le convenu, l'auteur a choisi d'ajouter une trame fantastique . Cette fameuse chambre devient le pendant des états d'âme de Benjamin....Comme l'histoire est habilement menée, le lecteur ne sait jamais sur quel pied danser, et surtout, ne possède que très peu de repères pour guider sa compréhension . Quant à la fin, elle est vraiment à l'image de l'ensemble: bien écrite, originale et intelligente. A lire, vraiment.