Ed de l'Olivier, traduit de l'anglais (USA) par Josée Kamoun, août 2013, 478 pages, 22.5 euros
Parcours initiatique
La
famille Parsons s'est installée à Great Falls, Montana. C'est la
première fois qu'elle reste aussi longtemps dans une ville. En effet, le
père, Bev, soldat de l'US Air Force, changeait de cantonnement assez
souvent, emmenant avec lui son épouse et ses jumeaux. Bev et Neeva sont
mal assortis: lui est "à contresens du monde qu'il avait retrouvé en
rentrant chez lui, un contresens qui [est] devenu sa vie"; elle, est une
enseignante remplaçante, "hostile au monde", affligée d'un "complexe de
supériorité", à mille lieux des préoccupations de son cher et tendre si
bien qu'elle est persuadée d'avoir raté sa vie avec lui, mais par
faiblesse, est incapable de le quitter.
Leurs jumeaux sont ce pourquoi
ils se sont mariés: Berner et Dell ont quinze ans au début du roman, et
sont complémentaires:
"Nous fonctionnons comme les deux moitiés d'un tout, parce que nous étions jumeaux. Ce tout n'était ni mâle ni femelle, mais un être intermédiaire qui incluait les deux."
Dell est l'intellectuel amoureux de l'école, des échecs, et des abeilles, tandis que sa sœur incarne la part plus révoltée et cynique du tout.
Pourtant bancale, c'est une vraie famille:
"notre vraie vie, à nous, c'était la famille, et nous faisions partie de ces impedimenta."
Dans une première partie magistrale, l'auteur décrit l'effondrement justement de ce tout. Les rôles s'inversent: les enfants s'avèrent davantage adultes que les parents. Le père vit de petites combines et harcelé par des Indiens mafieux à qui il doit de l'argent, il se met dans la tête de braquer une banque. Neeva, ne cautionnant pas pourtant le projet, décide de l'accompagner... Mais, le braquage part en vrille, les parents sont arrêtés et les enfants laissés seuls chez eux.
"Pour bien faire, il faut nous laisser sur le pont, ce matin là. Ça vaudrait mieux que de m'imaginer chez moi, un peu plus tard, sur le perron, en train de regarder Berner s'en aller sous les ombrages de notre vie et suivre le cours inconnu de sa vie."
C'est un Dell Parson arrivé au crépuscule de sa longue vie qui se souvient et raconte cette période "comme une partition musicale avec ses mouvements, ou bien comme un puzzle, à travers quoi je cherche à reconstituer et à conserver ma vie dans un état d'intégrité acceptable, malgré les frontières franchies."
Ces frontières sont à la fois physiques et morales. Dell est emmené par une amie de sa mère au Canada, chez un certain Arthur Remlinger, "fourbe, chaotique, sans scrupules ni vergogne", auprès duquel il va "renifler et goûter" ce qui le dégoute, et "ouvrir les yeux" sur ce dont les autres détourneraient le regard, bref "oublier les limites", afin de grandir en connaissance de cause, en ayant appris que "le feu brûle", qu'"on perd pied dans les eaux profondes."
De son expérience familiale, des nouvelles éparses de sa sœur, de sa vie
au Canada, Dell comprend ainsi qu'"à l'origine des événements les plus
terribles, il n'y a parfois qu'une déviation infime de la vie
quotidienne." Bref, un véritable parcours initiatique...
Richard Ford propose un roman passionnant ( qui bouscule les idées reçues sur la famille, l'éducation et le regard
sur le monde. Dell est l'incarnation même de celui qui aurait pu mal
tourner. Le conditionnel est de rigueur!
Le récit emporte le lecteur au delà des frontières fictionnelles, et propose par la mise en abyme du récit (le journal de Neeva) un début d'explication sur les mauvaises décisions des parents.
Canada est l'analyse fine d'un homme devenu vieux sur une enfance chaotique provoquée par des parents aimants.
Le récit emporte le lecteur au delà des frontières fictionnelles, et propose par la mise en abyme du récit (le journal de Neeva) un début d'explication sur les mauvaises décisions des parents.
Canada est l'analyse fine d'un homme devenu vieux sur une enfance chaotique provoquée par des parents aimants.