Rentrée Littéraire 2021
Paul Lynch est un habitué des situations extrêmes. Il aime malmener le lecteur en décrivant des situations complexes où l'instinct de survie prend le dessus sur le reste. La guerre et la famine étaient des sujets de ses précédents romans. Cette fois-ci, le vaste océan Pacifique est le décor d'un huis clos ravageur entre deux marins perdus.
"Dis-moi, Hector. C'est quoi une tempête ? Un peu de vent, rien de plus. La mer est légèrement agitée, voilà tout. Les vrais pêcheurs y sont habitués. Moi, je n'ai jamais rencontré de tempête dont je ne sois pas maître. On va faire un aller-retour sans problème, je t'assure. Regarde ce bateau, il n'a pas son pareil".
Bolivar est sûr de lui, trop même. Son équipier a disparu, alors il a enrôlé le jeune Hector contre la promesse de quelques billets. Le jeune homme est sceptique, il pense que la météo est trop mauvaise pour sortir mais il se dit aussi que l'argent récolté lui permettra de sortir avec sa jeune fiancée.
"Devant les yeux de Bolivar se déploie un monde uniforme. Il projette sa pensée vers les profondeurs de l'océan, vers les ombres qui glissent là-dessous - requins, dorades, thons. Et tant d'autres choses sans nom. Une ombre immense et implacable qui s'attarde presque une journée entière, loin sous la surface, comme une réfraction de son esprit, des réflexions qu'il refuse de formuler à voix haute : la réserve d'eau bientôt épuisée, le ciel qui n'annonce que des jours sans fin et sans pluie, les rouages de plus en plus lents de son esprit - il peine à garder la notion du temps".
Bien sûr, la tempête annoncée est passée et a transformé les deux marins en deux naufragés. le bateau a tenu le choc mais les vivres ont disparu. Hector garde un silence rancunier tandis que Bolivar, d'abord transporté par la certitude qu'on va venir les chercher, s'enfonce dans la haine envers son coéquipier, refusant par là sa part de responsabilité dans cette galère.
"Son regard se pose sur l'immuabilité de la mer.
Des légers murmures d'épouvante descendent sur lui.
Tous les deux perdus en pleine mer, au cœur de cet à-jamais".
A défaut de secours, ce sont les déchets abandonnés par des marins peu scrupuleux qui rendent visite aux naufragés. Hector les repêche, les exploite, leur donne parfois un caractère sacré, histoire pour lui de ne pas devenir fou tandis que les jours passent. Bolivar s'accroche, provoque, cherche querelle. Les instants de lucidité s'espacent au profit d'une forme de folie scandée par les mouvements des vagues. "Moi, je ne suis qu'un pêcheur" tente-t-il de se justifier à un public imaginaire. Seulement au fur et à mesure du récit, de quel pêcheur parle-t-il ? Est-il celui qui a renié Dieu et a été puni ou simplement le pauvre homme qui a voulu attrapé quelques poissons pour payer ses dettes ?
Au-delà de la mer prend très vite la tournure d'un huis clos étouffant malgré l'immensité du paysage. Très vite les deux personnages développent des stratégies pour survivre et attendre. Dès lors, leurs consciences se heurtent rapidement aux limites de la foi et de l'espoir. Et puis, l'autre devient vite le responsable du malheur et celui qu'il faut détruire pour son salut.
Le roman est court mais intense. On ne sort pas indemne de cette lecture dans laquelle la moindre lueur d'espoir est balayée par la tempête.
Ed. Albin Michel, collection Les Grandes Traductions, août 2021, traduit de l'anglais (Irlande) par Marina Boraso, 240 pages, 19.90€
Titre original : Beyond the sea