Je pioche dans ma bibliothèque et je relis des romans qui m'ont marquée jadis.
Une relecture est finalement une nouvelle découverte puisque le temps a passé nous laissant que des fragments de souvenirs.
La maison du bout du monde de Michael Cunningham a été écrit en 1989, mais n'a été traduit en français qu'en 1992. C'est ce roman qui consacra l'auteur mais ce fut Les Heures qui obtint le Prix Pulitzer en 1999.
Ma première lecture date de 2007.
"Nous passions nos journées ensemble. C'était une amitié soudaine et insouciante, privilège de ceux qui sont jeunes, seuls et ambitieux".
Telle naquit l'amitié entre Jonathan et Bobby deux adolescents perdus, l'un pour être le fils unique d'un couple uni en apparence mais dysfonctionnel dans l'intimité, l'autre pour avoir perdu son frère aîné dans un accident stupide et sa mère arrivée au bout de sa dépression. Il n'y a que l'université qui les a séparés mais ce fut de courte durée puisque Bobby qui est resté vivre chez les parents de Jonathan après son départ pour New-York, se décide finalement à le rejoindre.
"Nous étions à moitié amants. Ensemble nous occupions le haut et éclatant royaume de l'amour, où chacun se plaît dans la différence de l'autre, chérit l'étrangeté de son compagnon, et lui veut du bien. Parce que nous n'étions pas amants au sens charnel du terme, nous n'avions pas besoin de petits règlements de compte".
Bobby ne retrouve pas un Jonathan seul, mais "en couple" avec Clare qui appréhende le passage à la quarantaine. Jonathan est homosexuel. Il n'arrive pas à s'investir dans une relation à long terme, malgré son aventure avec Erich. Nous sommes au milieu des années 80, le Sida fait son apparition et commence à inquiéter la communauté.
Clare quant à elle aimerait tellement être maman. Elle pense que c'est peut-être ce qui lui manque et qui mettrait enfin un terme à une vie de célibataire, lui permettant enfin de devenir elle-même.
"La rivale de Clare était sa propre image, la personnalité élaborée qu'elle s'était forgée. Elle vivait à une distance mouvante, incertaine, de son aptitude à se montrer sèche et intéressante (...) Elle était devenue si experte qu'il lui était difficile de sortir de son rôle".
L'arrivée de Bobby va bousculer leur petite vie de couple. c'est à trois qu'ils vont mettre en place ce qui ressemble le plus à une famille. Ils sont amoureux les uns des autres et Jonathan souhaite que cette nouvelle aventure donne enfin un sens à sa vie.
"L'amour nous paraissait tellement irrévocable, morne - c'était lui qui avait saccagé nos parents. C'était l'amour qui leur avait valu une vie d'hypothèques et de travaux ménagers ; de jobs sans intérêt et de courses à deux heures de l'après-midi sous les néons du supermarché".
Or, "Nous devenons les histoires que nous nous racontons" , et Jonathan, comme il avait fait autrefois en quittant le foyer parental, fuit Bobby et Clare. Contrairement à sa mère Alice, il refuse de devenir un "être adaptable" et de voir dans cette adaptation la possibilité de se consoler de sa rage silencieuse qui le submerge à chaque instant. Quand il retrouve ses deux amis, ils sont devenus un couple...
"Si nous évitions de nous montrer avides ou précipités, si nous ne cédions pas à la panique, un amour riche et stimulant pouvait survenir".
Pour vivre heureux, ensemble, Clare Jontahn et Bobby quittent New-York pour vivre dans une grande maison au bout du monde, isolée, où ils pourront élever leur enfant. Mais leurs choix passés les rattrapent inexorablement.
Michael Cunningham raconte une jeunesse prise en étau entre les idées libertaires véhiculées par le mouvement Hippie et l'arrivée du Sida. Jonathan incarne celui qui a du mal à trouver sa place dans cette société qui ne lui correspond pas complètement, tiraillé entre son désir de stabilité amoureuse et son incessant besoin de liberté. Bobby peut être vu comme le miroir inversé de son ami. Son expérience familiale ont renforcé son besoin de vivre dans un cocon rassurant et sécurisant, quitte à renoncer au rôle qu'il s'était donné adolescent. Ainsi Clare devient pour lui à la fois l'amante, le frère et la mère défunts, le pilier sur lequel se reposer et voir l'avenir sereinement.
Ecrit avant Les Heures, on retrouve les thèmes qui seront abordés dans ce roman : le temps qui passe, la maladie, et cette fois inébranlable qu'on peut trouver sa voie dans l'existence, malgré tout.
Ed. 10/18, traduit de l'anglais (USA) par Anne Damour, 492 pages, 13.40€
Titre original : A Home at the end of the world.