mercredi 15 septembre 2021

Avancer, croire, recommencer


Rentrée littéraire 2021

Avec La Bonne chance, Rosa Montero renoue avec ce qui m'avait touché dans Instructions pour sauver le monde, à savoir expliquer toute la complexité humaine en la rendant transparente, touchante et sans cesse en évolution.

Un après-midi brûlant, dans le train le menant à un rendez-vous professionnel, Pablo Hernando décide de s'arrêter. Son arrêt est une pause pour lui, une fuite pour les autres. C'est avant tout une rupture avec les habitudes de son quotidien plutôt luxueux. 

 "Mais il y a en lui quelque chose de déplacé, quelque chose de raté et de faux. Une absence de squelette, pour ainsi dire. En fait, une absence complète de destin, ce qui revient à être dépourvu d'ossature. On dirait que cet homme n'est pas parvenu à un accord avec la vie, un accord avec lui-même, ce qui, nous le savons tous à ce stade, est la seule réussite à laquelle nous puissions aspirer : celle d'arriver, comme un train, comme ce train même, dans une gare acceptable".

Il se retrouve à Pozonegro, autrefois ville florissante grâce à son complexe pétrochimique, devenue laide et misérable depuis la fermeture de cette dernière. Là, il achète un appartement minuscule et mal entretenu en face de la voie ferrée et vit dans le dénuement.

"A travers la fenêtre, on voyait les voies, le quai sobre, un muret à moitié détruit couvert de tags soutenu par des poubelles antédiluviennes. Tout possédait cette laideur tellement absolue qu'elle était presque équivalente à de la cécité".

Pablo Hernando est un homme réputé hermétique ; il n'a pas l'habitude de se nouer facilement avec les gens. Au supermarché Goliat où il se rend pour acheter le nécessaire du quotidien, il fait la connaissance avec Raluca, une caissière, qui s'avère être aussi sa voisine.

"Raluca est une planète. Raluca est la Terre flottant dans l'espace, bleue et verte et blanche de la crème fouettée des nuages, une boule ensoleillée et fulgurante, aussi belle que la  plus belle des perles dans la noirceur solitaire du cosmos, et Pablo est un météore qui tombe frénétiquement vers elle".

Sa façon de ne prendre que le positif dans sa vie lui fait oublier la noirceur de l'âme humaine. Il existe aussi des gens sains qui font oublier les tueurs en série dont Pablo collectionne les coupure de journaux et les silences après les cris vociférés par la voisine du dessus sur sa petite-fille. Mais Raluca lui fait surtout oublier Marcos, son garçon, dont il aime à faire croire à autrui qu'il est mort. Elle le transforme en un autre homme.

"Etre un autre est un soulagement. Echapper à sa propre vie. Détruire ce qui a été fait. Si seulement il pouvait formater sa mémoire et recommencer à zéro".

Seulement, "Les monstres se cachent dans le ventre lugubre du silence domestique", et les proches de Marcos le font chanter. La dure réalité de son passé le frappe de plein fouet. Pablo ne se souvient plus quand il a failli avec son garçon, mais la culpabilité est bien là. "S'il pouvait penser, le cœur s'arrêterait, disait Fernando Pessoa". Pablo aime cette phrase. Il décide alors de faire face, de ne plus laisser faire. Sa voisine maltraitante du dessus et son fils n'auront plus l'impunité...

Rosa Montero raconte l'histoire d'un homme abîmé par les siens et qui fuit pour mieux renaître. Et c'est dans une ville fantôme avec ses personnages écorchés, qu'il va réussir à extérioriser, sans s'en apercevoir au premier abord, une autre facette de sa personnalité, des émotions trop profondément enfouies qu'il ne savait plus s'il pouvait encore les éprouver.

La Bonne chance distille toutes ces petites chances qu'il faut saisir pour rebondir malgré la noirceur qui nous entoure. Seulement Rosa Montero ne lâche rien et rappelle régulièrement au lecteur que l'homme est capable du meilleur comme du pire en lui rappelant les faits de nombreux faits divers sordides qui ont défrayé la chronique.

Finalement, on comprend que la rédemption est possible, il suffit juste d'y croire, même un peu.


Ed. Métailié, septembre 2021, traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse, 300 pages, 20 euros.

Titre original : La Buena suerte