jeudi 1 juillet 2021

Une vie par morceaux

 



Laura et Ed sont un couple fusionnel. Lui ne peut pas avancer dans la vie sans elle, même s'il la trompe de temps en temps et pense que cela n'a rien à voir avec son mariage, et elle a besoin de lui pour avoir le sentiment d'exister.
"J'avais besoin de lui pour croire que j'existais vraiment, que j'étais importante, que je faisais partie de quelque chose".

Quand Ed a accepté le poste de directeur du Boulder River School and Hospital, il a vendu cela à Laura comme un nouveau départ : changement d'état, changement de vie et peut-être la petite étincelle qui manquait à ce qu'ils aient enfin un enfant. En psychiatre comportementaliste, il a du mal cependant à gérer les tensions de son couple et a tendance à laisser les choses s'arranger d'elles-mêmes. Il compte sur Laura.
"Le flux est à sens unique. Il absorbe, renvoie ce qu'il a pris, mais jamais il n'offre ses pensées personnelles, ni ses réflexions. Ce qui fait de lui un médecin brillant, et sans doute un père brillant. Mais un terrible mari".

Sauf que Laura supporte de moins en moins cette vie "par morceaux" à attendre que son mari daigne rentrer du travail ou du bar où il se réfugie avec un ami. Elle en a marre de le voir flirter avec une jeune patiente, Pénélope, à qui il accorde davantage d'attention au point de ne pas assister à la naissance de son enfant. Enfin, elle ne veut plus que l'atelier peinture qu'il lui a proposé de mener à l'hôpital ne soit finalement devenu un sujet tabou entre eux.
"Ed ne parvient pas à se débarrasser du sentiment qu'elle n'y est pas à sa place - ses univers à lui s'en trouvent trop mélangés, cette présence pèse trop sur son emploi du temps".

Quelques temps après la naissance de leur garçon, Laura jette l'éponge : elle quitte Ed.
"Que dirait Ed de son propre comportement ? De son besoin de s'inventer une fiction, même s'il sait que ça n'arrivera pas"?

"J'ai besoin d'être à nouveau entière", se dit-elle. Mais entre eux le divorce n'est qu'une procédure, un morceau de papier qu'Ed a du mal à admettre. Leur histoire commune et leur fils les empêchent de se séparer complètement, même si Laura refait sa vie avec Tim. Ed ne lâche rien et Laura se surprend à ne pas l'oublier complétement. Quand Ed se retrouve à l'hôpital, c'est Laura qui se retrouve à son chevet.
"Son cerveau est un bâtiment ravagé par le feu (...) Il avance dans les couloirs endommagés".
Anatomie d'un mariage est un roman de facture classique sur l'usure d'un couple dans les années soixante dix. Il évoque surtout le désir d'émancipation quand l'un vit dans l'ombre de l'autre. Le dernier tiers du roman raconte comment rien n'est jamais fini, comment le lien du mariage pourtant rompu existe encore, malgré tout. Alors que Laura redevient entière, Ed voit sa vie éclater en morceaux.
En lisant, je me suis souvenue de Les Furies de Lauren Groff (traduit aussi par Carine Chichereau) qui raconte aussi l'histoire d'un jeune couple au fil des ans et qui m'avait beaucoup marquée. leur point commun est de raconter finalement que le mariage fonctionne tant que l'un vit dans l'ombre de l'autre. Quand cet équilibre éclate, c'est l'imprévu qui domine.


Ed. Stock, collection La Cosmopolite, juin 2021, traduit de l'anglais (USA) par Carine Chichereau, 330 pages, 22.90€
Titre original : The Behavior of love