Chaque citation biblique est à l'interprétation de celui qui la lit et parfois les conséquences sont désastreuses. Intégrisme et obscurantisme se repaissent du sens qu'ils donnent aux textes sacrés. Leurs adeptes ne sont plus des croyants mais des "croisés" modernes se sentant investis d'une mission divine : se débarrasser des mécréants toujours trop nombreux. Pierre-Louis Sue de La Garde, le beau et jeune époux de Sixtine est de ceux-là. Il se revendique "Soldat de Dieu" et œuvre pour "Les Frères de la Croix" qui selon lui prennent bien plus leurs responsabilités que le Pape.
"Le milicien fait plusieurs promesses : faire régner la croix sur le monde, protéger la France, fille aînée de l'Eglise, des invasions et mener une vie de sacrifice en rédemption des pêchés".
Nous ne sommes pas au Moyen-Age, mais en 2013. L'année des manifestations contre le mariage pour tous. C'est l'année aussi où Sixtine et Pierre-Louis se marient. Deux familles fondamentalistes où la religion, le racisme règne en maître, et les femmes en soumises s'unissent. Sixtine a grandi dans cet univers et, malgré une incursion "dans la vraie vie" lorsqu'elle était adolescente, genre de Rumspringa volée, elle a vite compris que sa vie était déjà toute tracée : bonne épouse, bonne mère, et soutien des Frères de la Croix puisque si elle avait refusé son époux aurait renoncé à la marier. Quand une pensée nocive l'assaille, vite elle se confesse pour expier ses fautes et se laver de tout pêché. Elle est fière. "Elle fait partie de ces apôtres du nouveau temps".
"Mes enfants, sur vos épaules repose une lourde tâche, celle d'être des époux catholiques dans un monde païen, celle d'être des parents de nouveaux petits croisés qui devront grandir au milieu de ce peuple renégat".
Maylis Adhémar plonge le lecteur dans ce drôle de monde qui vit en vase clos et rejette toute forme d'avancée sociologique. Son héroïne, Sixtine n'est pas bête, mais elle est imprégnée d'une éducation intégriste qui gère son quotidien et ses raisonnements. Quand son époux est tué lors d'une rixe avec des militants de gauche, la jeune femme voit son destin basculer.
Le deuil de Pierre-Louis est une prise de conscience initiale. Sixtine est enceinte et elle s'aperçoit bien vite que sa belle-famille va vouloir prendre les devants pour éduquer son petit garçon. Comment accéder à la liberté quand on a toujours vécu sous le carcan religieux ? La fuite devient la seule possibilité. Ce départ prend la forme d'un village de l'Aveyron où elle rencontre des personnes qui vont l'ouvrir à une nouvelle vie possible. Elle plonge dans un monde que les siens qualifient d'"apostat". Même le curé de la paroisse est si différent de celui qu'elle fréquentait autrefois ! Le fondamentalisme s'efface au profit du profane, et les lettres de sa grand-mère qui ponctuent quelques chapitres font alors douloureusement écho. Sixtine doit renaître spirituellement pour assurer un avenir libre à son bébé...
Bénie soit Sixtine est un premier roman qui met les pieds dans le plat du fanatisme religieux. De l'extérieur, on se demande toujours qui sont ces gens qui assistent à la messe en latin, ressentent le besoin plusieurs fois par semaine d'expier leurs pêchés, et enferment leurs esprit dans le dogme étroit d'une religion réinterprétée. Maylis Adhémar nous prend par la main et fait du lecteur le spectateur d'une univers étrange frisant parfois avec le surréalisme. L'histoire de Sixtine est un chemin de croix inversé. C'est une libération qui lui permettra enfin de s'ouvrir aux autres et donner du sens aux événements et aux personnes qu'elle côtoyait avant.
Ed. Julliard, août 2020, 304 pages, 19€