Rose, la trentaine, est arrivée à un carrefour de sa vie où les conseils d'une mère lui seraient fort utiles. Un petit ami qui ne cesse de reporter son projet professionnel, un travail de serveuse qui ne lui donne aucune perspective, et l'impression constante qu'elle piétine. Sauf que voilà, Rose n'a jamais connu sa mère, Elise, volatilisée alors qu'elle n'était qu'un bébé. C'est son père Matt qui l'a élevée, peu prolixe sur les circonstances de cette disparition.
"En réalité, je n'avais connu qu'un véritable événement sismique. Je n'avais pas suffi pour que ma mère ait envie de rester".
A force de questionnement et parce qu'il vieillit, Matt révèle quelques bribes du passé familial. Avant lui, Elise a connu Constance Holden - Connie - écrivain de son état, avec qui elle a entretenu une relation fusionnelle et passionnée. S'il y a bien quelqu'un qui sait ce qu'est devenue Elise, c'est elle. Alors, Rose décide de l'approcher, arrive même à se faire employer comme secrétaire particulière en se faisant passer pour une autre, bien résolue à percer le secret de son origine.
"Je cherchais toujours à creuser la strate de la fiction suivante et à m'y retrancher. Depuis ma plus tendre enfance, j'avais beau imaginer chaque récit possible, ma mère demeurait pourtant une histoire sans réponse".
Au fil des jours, une amitié naît entre les deux femmes. Connie est une dame âgée, farouchement indépendante et aux idées bien arrêtées. Très vite, Rose trouve en elle la mère qu'elle n'a jamais eue. Elle avance doucement mais sûrement vers une nouvelle indépendance, tout en tentant de retracer la vie d'Elise sans que Connie ait des soupçons.
"[Connie était]une femme qui ne s'excusait pas d'exister, en pleine connaissance d'elle-même, et qui m'encourageait à trouver ma propre voie, quel que soit mon identité. Aux côtés de Connie, j'avais entrepris de me déterrer, de remettre en question celle que je voulais être, et comment, et où".
Par un jeu habile d'allers-retours passé-présent, l'autrice retrace la vie d'Elise, une femme en constante quête d'elle-même, envoûtée par l'aura d'une femme "trop puissante, trop brusque, trop habituée à plier le monde à sa convenance".
De Londres à New-York, en passant par Los Angeles et le Mexique, Jessie Burton raconte une histoire d'amour douloureuse dans l'Amérique des années 80 et les frasques du milieu hollywoodien, jusqu'à la rupture inéluctable. De cette relation, Connie va écrire un roman puis s'effacer de la vie littéraire. Trente-cinq ans après, c'est la volonté de se replonger dans la fiction qui lui permet de rencontrer Rose.
"Je vis dans des espaces temporels différents. Je vis dans un présent fictif, et j'invente sans cesse un avenir - et je réimagine le passé".(...)"J'aimais penser qu'être moi-même était déjà un acte radical à lui seul. Mais c'était peut-être de la paresse. peut-être que je me suis vraiment cachée. Je ne sais pas".
Les secrets ont une fin. Rose ne pourra pas continuer longtemps sans révéler sa véritable identité. Ressortir le passé, c'est aussi assumer le présent. La vie réelle n'est pas une fiction qu'on peut diriger comme on veut.
"C'est que je cherchais l'origine d'une cicatrice qui ne s'efface jamais. de vieilles rides sous une peau nouvelle. Mais le processus d'écriture la replace dans un présent reconfiguré. Ce que j'appellerais l'art, ou l'expérience que nous en faisons. Ce qui nous aide aussi à imaginer notre avenir idéal".
Les secrets de ma mère est un roman aux multiples portes d'entrée. Il questionne aussi bien les méandres de la maternité que l'indépendance féminine ou encore la relation de l'écrivain avec son univers fictionnel. Les liens se tissent au fils des pages, les personnages se dévoilent et révèlent des tempéraments entiers et différents. Rose est-elle finalement une victime collatérale de la passion ou sinon la conséquence d'un choix assumé mais tout compte fait trop lourd à porter ? Jessie Burton laisse des portes ouvertes et offre un roman très féminin et captivant.
Ed. Gallimard, collection Du monde entier, traduit de l'anglais (USA) par Laura Derajinski, septembre 2020, 512 pages, 23€
Titre original : The confession