mercredi 2 septembre 2020

Lebensborn Programm

 

La parole libère ; elle s'affranchit de tous les non-dits, les secrets, la culpabilité. Hildegard Müller - c'est le nom qu'on lui a donné - a attendu soixante-seize ans pour se libérer de ce qui occupe son esprit depuis qu'elle est en âge de comprendre: l'origine de sa naissance.

"J'ai soixante-seize ans. Je sais à peine lire et écrire. Je devais être la gloire de l'humanité. J'en suis la lie".

Hildegard n'est pas le fruit d'un couple aimant, elle est la conséquence d'un projet né dans le cerveau malade d'Himmler : le Lebensborn Programm. Afin de peupler le futur Reich millénaire d'Aryens, on a demandé aux SS de "féconder" des jeunes filles triées sur le volet pour la "pureté" de leur race. Les enfants ainsi conçus naissaient dans des maternités spéciales où ils étaient arrachés à leur mère et "donnés" aux responsables nazis. Or, les bébés survivants devenus adultes n'ont jamais été reconnus comme victimes d'un système hors norme puisque les responsables de ce programme effarant n'ont pas été condamnés lors du procès de Nuremberg.

"Je suis née à. Phrase avortée. Ça commence mal."Ça", c'est ma naissance.Je ne sais rien de ça".

Née pendant une période très sombre durant laquelle "l'être humain devient superflu", Hildegard a appris à être celle dont on ne parle pas, dont on hait ses origines. Elle ne parle pas de responsabilité. Elle demande simplement à connaître l'identité de ses parents. Sa mère supposée était-elle bien norvégienne ? A-t-elle bien été retrouvée dans une maternité laissée à l'abandon ? Enfin pourquoi ce nom et ce prénom ?

"La vie, c'est les autres. Pas moi".

La vieille femme ose enfin se livrer à un jeune scripteur. Il la délivre de sa colère, de son désespoir et de sa tristesse. Elle raconte qu'elle a fondé une famille avec un homme né comme elle et qu'elle a donné à ses enfants ce qu'elle n'a jamais eu dans son enfance. Avec l'âge, le questionnement est lancinant et l'espoir d'y trouver des réponses, urgent. Seulement, comment s'en sortir quand on se rend compte qu'il existe une véritable omerta sur le sujet des Lebensborn et un vide juridique béant ?

 "Ma naissance est absurde. Je suis née sans cordon".

Je lis rarement des livres relatant les atrocités de la seconde guerre mondiale. il y a des thèmes que j'évite. Pourtant, ce roman m'a attirée car il pointe du doigt un sujet méconnu et, pour le traiter, Oscar Lalo a choisi la pudeur. Cette dernière saute aux yeux dès la mise en page : des paragraphes courts, un par page. Le contenu est aéré, permettant au lecteur de prendre du recul, de respirer malgré la gravité de la confession d'Hildegard. Les phrases sont courtes, imagées, et donnent de la dimension à ces personnes nées à l'intérieur d'un des secrets du régime nazi.

Ainsi, La Race des orphelins est un hommage aux oubliés, aux invisibles de l'horreur en marche.

Ed. Belfond, collection Pointillés, août 2020, 288 pages, 18€