Au départ, on croit lire une simple affaire de disparition au fin fond du Texas. Une jeune fille a disparu et trois pieds nickelés d'origine asiatique dont le père de la prétendue victime partent à sa recherche. Ces trois-là se connaissent bien, s'appellent par leurs surnoms - Zuo Luo, Bec de canard et Big Menfei - et pensent que toutes les chances sont de leur côté pour retrouver Zhu Yu.
"Les trois cavaliers de l'Apocalypse, pensa Big Menfei, qui avait oublié qu'ils étaient quatre. Les trois mousquetaires, pensa Bec-de-canard, qui n'avait jamais su qu'ils étaient quatre. Le bon, la brute et le renard, pensa Zuo Luo, à qui il restait à répartir les deux modèle restants".
Et puis, au fil des jours la confiance s'effrite, notamment celle de celui qui est finalement le seul détective du groupe, Zuo Luo. La barrière de la langue, la chaleur du désert et les témoins qui se succèdent tous plus improbables les uns des autres et qui n'ont rien à dire, font flancher le moral du chinois. En plus, son ami Bec de canard commence à avoir de sérieux doutes sur la réalité de l'affaire. Et s'ils n'étaient finalement que des personnages de fiction en train d'évoluer dans un récit en devenir ?
"Je me dis que je suis un personnage de fiction, inventé par ce type. Et toi aussi, d'ailleurs."
Dans le même temps, un certain Chen Wenglin, journaliste de son état est envoyé en France par son patron dont la fille ne donne plus de nouvelles depuis quelques temps. Chen Wenglin, sous couvert de recherches pour de futurs articles, doit mener l'enquête. Il est "un Quichotte esseulé dans une Mancha française désespérément vide, et sans le moindre Sancho à ses côtés". Dans des parties nommées Histoire de Chen Wanglin, auteur réticent et enquêteur perplexe, le lecteur suit les tribulations de ce néo-détective à Paris puis Marseille. A bien y penser, il a l'impression de ressemble au héros qu'il a inventé dans un roman, un certain Zhu Wenguang alias Zuo Luo...
"Dans ce récit, Zhu Wenguang s'interrogeait sur son statut de personnage, et se demandait dans quelle réalité il vivait, s'il était vraiment lui-même, ou le résultat de l'imagination d'un auteur vivant à Pékin - un nommé Chen Wanglin. Et voilà que c'était lui à présent, Chen Wanglin, qui se posait la question. Il se sentait comme un atteint d'un syndrome que, faute de mieux, il avait baptisé du nom de 'syndrome de la balle de ping-pong'- qui rebondit d'un point à un autre selon un itinéraire qu'elle n'a pas décidé".
Au fur et à mesure, le lecteur ressent ce fameux syndrome de la balle de ping-pong et se délecte de l'inventivité narrative de Christian Garcin. L'auteur propose des pistes, fait référence à ses précédents romans, se met même en scène comme pseudo-témoin à Marseille. Dans les deux histoires, pas de traces des jeunes filles. Elles n'existent que par ce qu'on parle d'elles. Mais si ceux qui la connaissent sont des personnages de fiction, qu'en est-il de leur réalité finalement ?
"Exact, approuva Zuo Luo. Ce sont les mots qui créent la réalité.Ah non, dit Bec-de-canard, ce sont les actes.Sans langage, rien n'est réel.C'est quoi ces conneries, un arbre n'est pas réel ?Si, mais il n'existe pas vraiment tant qu'il n'est pas nommé. Il est, mais il n'existe pas. Rien n'existe en dehors de ce qu'exprime le langage articulé".
Alors pour rendre l'enquête réelle, le trio d'enquêteurs parle et fait parler les témoins. Ils sont devancés de près par un duo de flics qui eux aussi cherchent les témoignages des mêmes personnes, mais pour des motifs complètement différents. Dans le désert, les mirages foisonnent...
"Dans le récit, Zhu Wenguang lui aussi errait entre deux mondes, loin de chez lui, sans réelle piste à suivre, déstabilisé par l'étrangeté des lieux, l'inadéquation des comportements et des mécanismes de pensée. Il fallait devenir chaman, disait-il, un détective-chaman qui oeuvre entre les mondes".
A bien y penser, Chen Wenglin pense que toute cette histoire ressemble beaucoup à L'Aleph, une nouvelle de Borgès, un lieu mythique où tous les lieux de l'univers se retrouvent et peuvent être vus sous tous les angles sans se confondre les uns les autres.
"Pour retrouver Ba Meijie, il lui faudrait peut-être trouver son 'Aleph', le point à partir duquel, de la même manière que le narrateur de la nouvelle de Borgès, contemple la totalité de l'Univers, il pourrait quant à lui examiner la totalité de son histoire".
Bref, tout cela donne le tournis et nos héros, sur deux continents différents, évoluent dans un labyrinthe sans issue.
Le Bon, la brute et le renard est un excellent roman non seulement pour son audace narrative que pour sa richesse de récit. La mise en abyme est impeccable et tout se rejoint à un moment donné de l'histoire, sans anicroche. Ce roman est l'Aleph de l'auteur. Il pourrait ressembler à un exercice narratif difficile et laborieux, mais il devient un roman captivant autant par sa forme que par son contenu car les deux sont indissociablement liés et donnent de l'épaisseur à l'ensemble.