vendredi 28 août 2020

Histoire d'un faussaire littéraire.

"Appropriez-vous une histoire et vous aurez le monde à vos pieds. C'est le meilleur conseil que je puisse vous donner".


Maurice Swift avait deux rêves : être un écrivain célèbre et être père. Pour cela, du haut de ses vingt deux ans, rien ne l'arrête : prêter son corps aux hommes et aux femmes du milieu littéraire, se rendre indispensable auprès d'écrivains influents ou en devenir, mais surtout, piller les idées de ces mêmes personnes pour se les approprier et en faire un roman à succès sous son nom.
"Je crois que Maurice est ce qu'il a besoin d'être, quand il en a besoin. C'est un manipulateur, c'est certain. Et je ne l'aime pas beaucoup, Gore, pour être honnête. Parfois, je crois même que je le déteste. Il est grossier et désagréable, totalement égocentrique et il me traite comme un chien. Mais je n'arrive pas à me libérer de son emprise. Quand nous sommes ensemble, je souffre, et quand nous sommes séparés, il occupe toutes mes pensées".
Au fils des années, Swift a construit sa vie avec cynisme, ne laissant aucune place au hasard, quitte à devoir se séparer de proches bien trop encombrants. Pour autant, malgré ses appropriations littéraires successives, il reste un homme qui cherchera toute sa vie un semblant d'authenticité. 
Être connu est une chose, être reconnu par ses pairs en est une autre. A force, il laisse dans son sillage un relent d'arrivisme, de mensonge et de manipulation. En souffre-t-il ? Non, en apparence seulement. Swift reste déterminé à son objectif principal : briller encore et encore.

L'audacieux Monsieur Swift est un roman brillant. Son héros est mis en lumière par la précision des personnages secondaires à qui l'auteur donne la parole. Swift existe grâce aux autres jusque dans la construction du roman. La choralité donne de l'épaisseur à un homme prêt à tout, dévoré par l'ambition. Swift, "fondamentalement imperméable à l'amour", devient un être qu'on peut aimer à travers les yeux de ces hommes et des ces femmes qui ont croisés son chemin et contribués directement à son succès, à leur insu.

"Quand les dieux souhaitent nous punir, ils accèdent à nos prières", paraît-il. En cela, le dernier tiers du roman ferme une boucle magistralement ouverte. Commet terminer un roman dans lequel les thèmes centraux restent la fiction et la propriété intellectuelle ? Il ne faut s'attendre à ni réconfort, ni condamnation. Swift fera du Swift jusqu'au bout, même imbibé d'alcool et narcissique au point d'être incapable de sentir le piège qui se tend contre lui.

John Boyne décrit un écrivain véritable insulte à sa profession. Un traître contemporain incapable de se remettre en cause même lorsqu'il se retrouvera seul.
"La fiction était mon métier, mon havre de paix", explique-t-il à celui qui l'interroge pour une possible biographie. Piètre consolation pour celui qui se persuade d'être un bon écrivain qui aimerait qu'on se souvienne de lui. Car pour Swift, tout est question de prospérité finalement.



Ed. JC Lattès, février 2020, traduit de l'anglais (Irlande) par Sphie Aslanides , 416 pages, 22.90€
Titre original : A Ladder to the sky