Dans ma quête de lectures nippones, c'est une nouvelle esseulée de Murakami que j'ai trouvée. Elle appartenait au départ à la version originale du recueil de Saules aveugles, femme endormie, puis a été séparée par l'éditeur pour la version française.
Le récit est court. Il raconte l'étrange histoire de Tony Takitani, homme discret et solitaire dont l'épouse Eiko a une étrange manie : l'achat compulsif de vêtements souvent hors de prix. Acheter pour exister aux yeux d'autrui, au point qu'il faut une pièce entière pour empiler habits et chaussures dont de nombreuses pièces gardent l'étiquette.
Tony, élevé par son père, se garde bien de juger l'attitude de son épouse. Avant de la rencontrer, il envisageait sa vie en solitaire. Leur amour fut si imprévisible qu'il met un point d'honneur à le préserver. Or, comme sa mère, Eiko va disparaître subitement.
"Une mort paisible, sans complications ni véritables souffrances : elle s'était éteinte d'un coup, comme si quelqu'un était passé derrière elle pour couper le contact".
Tony Takitani est veuf avec une garde-robe immense. Alors, il passe une petite annonce pour en donner le contenu. Il en revient à "l'aspect pragmatique des choses" qui le caractérisait avant son mariage, sans se rendre vraiment compte qu'il a publié là une bien étrange annonce...
Le récit est lisse, sans véritable affect, ce qui est la marque de Murakami. Cet effet de distanciation donne un effet étrange à l'ensemble. L'auteur raconte une histoire du début à la fin (car pour le coup cette fois-ci rien n'est laissé en suspens) qui à première lecture peut paraître anodine.
En fait, en filigrane, s'y cache une réflexion assez cynique sur notre rapport aux choses et à la société de consommation. Comme dans beaucoup de romans de Murakami, le personnage principal est solitaire et se contente de vivre frugalement tout en y tirant une certaine plénitude. Le personnage de Eiko en est l'antithèse. Acheter pour avoir l'impression d'exister et assouvir un besoin oppressant.
Dans la seconde partie de la nouvelle, on pourrait croire à une forme de perversion de Tony lorsqu'il se met à la recherche d'une femme qui pourrait porter les habits de sa défunte épouse. Or, Murakami balaie en une phrase cette hypothèse. Comme Tony avait trouvé dans son mariage avec Eiko une forme d'harmonie, il tente de prolonger cette émotion brutalement stoppée par la perte.
Encore une fois, ce texte prouve que les récits de Murakami ne sont jamais anodins Il y a toujours une couche et une sous-couche qu'il s'agit de gratter consciencieusement pour en extraire la substantifique moelle.
Ed. Belfond, 2005 (épuisé) ; lu en format numérique.
traduit du japonais par Corinne Atlan