mardi 23 juin 2020

"Sauve ma vie de l'épée et ma bien-aimée du pouvoir du chien". (Psaumes)



1924, comté de Beech dans l'Utah. Les frères Burbank ont repris la ferme familiale depuis que leurs parents ont décidé de vieillir à l'hôtel sur la côte. La famille est la plus riche du coin. Phil est l'intellectuel de la famille mais c'est aussi celui qui met le pied à l'étrier et mène les cow-boys, tandis que son frère George, plus lent et peu enclin à l'effort, s'occupe des comptes.
"Leur relation n'était pas fondée sur la parole."
George a toujours vécu sous la coupe de Phil, caractère fort et manipulateur. Quand il n'aime pas quelqu'un, il ne s'en cache pas. Son rire lacère celui qui en est le destinataire.
"Car, pour ces gens, un homme qui s'habillait comme Phil, qui parlait comme Phil, qui avait les cheveux et les mains de Phil, devait être simple et illettré".
Phil cache bien son jeu. Un jour George ramène Rose qu'il vient d'épouser. C'est la veuve du médecin de Beech qui s'était pendu jadis après que Phil lui avait signifié combien sa vie était pitoyable. George et Rose sont un couple bien assorti, plein d'affection l'un pour l'autre. Or, Phil voit cette union d'un mauvaise œil. Rose devient sa nouvelle proie. Commence alors un long travail de sape où le mépris du frère Burbank va faire flancher la jeune femme qu'il appelle "mademoiselle Mignonnette". Rose va boire pour réussir à affronter son beau-frère.
"Quand Rose parlait de Phil, sa bouche devenait sèche, sa langue épaisse. Penser à lui dispersait tout ce qu'elle pouvait avoir d'agréable ou de cohérent à l'esprit et la ramenait à des émotions infantiles". (...)
"A son âge, elle ne pouvait accepter le silence de Phil, son aversion pour elle, comme s'il s'agissait d'une simple bizarrerie de plus". (...) 
"Elle était malade à l'idée de s'asseoir avec Phil, d'être en butte à son silence, de souffrir ses grossièretés, sa façon de se gratter, de renifler, de s'adresser à George comme si elle n'était pas là".
Peter, le fils de Rose est témoin des manigances de Phil. C'est un jeune homme discret, étrange parfois, voué à devenir médecin comme son père. 
"Il n'avait pas l'allure d'un garçon de ranch ; il était d'une propreté méticuleuse et il zézayait".
Phil voit en lui celui qui pourrait "achever" Rose. Il est attiré par lui et veut son amitié pour mieux discréditer la mère et "sevrer le gamin de sa maman". Mais, Phil, là, fait une erreur...

Le Pouvoir du chien n'est pas un western même si quelques passages décrivent les diverses activités du cow-boy dans les années 20.  C'est surtout un roman psychologique intense et puissant dans lequel un homme au caractère retors et à l'homosexualité refoulée (Phil) tente de détruire une femme fragile remplie de contradictions. C'est par le fils dont tout le monde moque la féminité que va venir la vengeance.
Thomas Savage démontre que la faiblesse n'est pas toujours chez ceux qu'on croit dominer. L'intensité du sujet vient aussi du contexte : années 20, milieu très masculin où le machisme règne. 
Laura Derajinski, traductrice entre autres de David Vann, nous offre un texte limpide mettant en évidence toute l'intensité psychologique du roman.
Une belle découverte !


Ed. Gallmeister, collection Totem, traduit de l'anglais (USA) par Laura Derajinski, février 2019 (réédition), 288 pages, 9.20€