Pour Guise, flic de la vieille école, cette affaire est du pain béni. Il ne croit pas trop au suicide et préfère se concentrer sur le "cas" Pierre Mourange.
"Sa vie était parfaitement dénuée de sens, mais il avait son but, sa grandeur d'homme insignifiant : il voulait arrêter un criminel".Pierre est directeur d'une EHPAD. Cette fonction l'arrange bien car il n'a pas à exercer la médecine. Elle est à l'image de son quotidien.
"Pierre vit l'image de sa vie en équilibre sur des piliers flottants. Un ami écrivain qui n'écrivait plus, une fille aimée qui ne l'aimait plus, une femme lointaine qui s'éloignait, une secrétaire fidèle dont il trompait l'espérance, un assistant qui n'assistait que son déclin".L'acharnement de Guise à vouloir en faire un coupable le tourmente peu. Convaincu que "les dépressifs sont toujours presque des malades qui ne veulent pas guérir", il se complaît objectivement dans sa situation du moment. Rien ne va, et alors ?
"Mais sa femme n'était pas seul en cause. Son désamour touchait à plus grand, au monde qui l'entourait. Le désamour universel ne s'incarnait que pour cacher sa réelle étendue (...) Mais la vérité était plus sombre. Lorsqu'on n'aimait plus l'autre, c'est qu'on n'aimait plus rien".La seule personne qu'il voit régulièrement est son meilleur ami Camille, écrivain en panne d'inspiration, auprès de qui il prend des nouvelles de sa fille Mathilde. Camille a bien compris que l'affaire de Pierre pourrait faire un bon roman, mais l'exploiter ne serait-il pas une forme de trahison ?
"Les mots restaient à la surface des sensations comme les souvenirs à celle de la vérité. Personne ne savait comment faire pour ressusciter une émotion. Elles finissent toujours par mourir en paix, auprès du seul cœur qui l'avait éprouvée".A force de prendre de la distance avec les choses et les gens, on a l'impression de n'avoir plus rien à perdre. Seulement, Pierre se rend compte que l'amitié peut être très appréciable quand elle permet de vous protéger des hypothèses nocives de la police et vous aide à vous remettre sur les rails.
Et si aimer à nouveau, croire en son prochain permettait à Pierre de sortir de la déprime ?
Que sont nos amis devenus ? est un roman à fleur de peau dont le personnage principal est un anti-héros du quotidien attachant.
Le texte est truffé de réflexions pertinentes sur la vie, notre rapport aux autres et à la famille. Ainsi Antoine Sénanque prend le prétexte d'une affaire policière bancale pour écrire sur l'amitié et l'usure du temps et nous faire partager un texte plein de surprises et de beauté.
Une réussite !
Ed. Grasset, mars 2020, 224 pages, 18€