lundi 6 avril 2020

Qu'est-ce que la normalité ?



"Je me languis de mon konbini. La-bas tout est plus simple, rien ne compte hormis notre position dans l'équipe. peu importent le sexe, l'âge ou les origines, tous sont des employés, égaux, vêtus du même uniforme".

Pour Keiko, trente-six ans, la vie est beaucoup plus simple depuis qu'elle a décidé de rester une employée de konbini. Non seulement, elle y a trouvé sa place dans la mécanique du monde, et au moins elle a rompu avec la solitude d'antan qui faisait d'elle quelqu'un à part aux yeux de sa famille. Elle n'est plus le petit électron libre...

Au Japon le poids sociétal est très fort et à cela s'ajoute celui des traditions. Comment se faire une place dans la société quand on n'a aucune perspective de carrière et la volonté de fonder une famille réduite à néant ? Keiko incarne tous ceux qui, pour être "dans le moule" se sont imprégnés des codes sociaux tout en revendiquant leurs différences.
"C'est en nous imprégnant ainsi les uns des autres que nous préservons notre humanité".

Être employée de konbini n'est pas une carrière, mais ce travail a permis à Keiko de devenir conforme à une norme.
"Dans ce monde régi par la normalité, tout intrus se voit discrètement éliminé. Tout être non conforme doit être écarté".
L'arrivée de Shihara comme nouvel employé au konbini va forcer la jeune femme à se poser de nouvelles questions. Réticent à l'effort, il revendique sa vision sexiste de la société et son rejet de la cellule familiale. Il attise la curiosité de Keiko car il incarne toutes sortes de contradictions. Et si finalement, elle était devenue à ce point conforme à ce que la société veut d'elle qu'elle est incapable de se poser encore les bonnes questions ?

Ce petit roman est complexe sur bien des points. Il interroge sur la notion de norme au sein de la société. Pour être considéré comme "normal" il faut remplir un certains nombre de critères qui rassureront la famille : mariage, emploi stable, enfants... Au Japon, la place faite à la carrière prend des dimensions dantesques au détriment du bien être de l'individu. L'individualité est engloutie au profit de la masse, et ceux qui luttent pour rester ce qu'ils sont vraiment risquent l'ostracisation. Sous couvert de légèreté, La Fille de la supérette pose de bonnes questions et pointe du doigt les déviances d'une société sans cesse en compétition avec elle-même.

Prix Goncourt Japonais







Ed. Folio Gallimard, juin 2019, traduit du japonais par Mathilde Tamae-Bouhon 144 pages, 6,90€