"Un fossé vaut bien un autre et vu qu'ils tournent en rond dans le désert ça pourrait aussi bien être le même fossé si ça se trouve il y a un seul et unique fossé qui parcourt tout le pays, du coup Gros se dit que Vieux n'a pas tort tout ça c'est du pareil au même, tout est pareil, les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes, les bons et les méchants, les hommes et les chiens, un fossé et un autre fossé, rien ne ressemble plus à un cadavre en décomposition qu'un autre cadavre en décomposition".Dans ce pays qu'on ne nomme pas, un commandeur dirige tout d'une main de fer, n'hésitant pas à supprimer ceux qui se mettent sur leur chemin. Dans ce pays, la chaleur côtoie l'horreur. On ne soucie même plus de savoir si les ordres donnés sont absurdes ou non.
"Déjà, dans un monde digne de ce nom, il n'y pas de pays comme celui-là, couvert de cadavres dessus et dessous la terre, dans les fossés, dans des barils au fond des rivières, au beau milieu du désert, et encore moins dans des semi-remorques réfrigérés parce qu'on ne sait pas où les entreposer".Enfin, dans ce pays, Gros et Vieux fuient aussi quelque chose. Ils n'ont pas le droit de soulever la bâche du camion et se pencher sur les corps. Cette attitude rendrait aux cadavres un statut de défunt. Seulement, Vieux se persuade que parmi eux il y a sûrement le corps de sa fille disparue. Tous les deux ont l'habitude d'obéir aux ordres mais lorsque l'intime prend le dessus, les digues se rompent.
"Tout va très vite. Comme toujours dans ce pays. Sauf le désert, qui prend son temps. La violence va vite. Elle ne laisse pas respirer. Elle ne laisse pas penser. La violence, c'est un sac en plastique sur la tête. Et entre les moments de violence, tout s'arrête. Le pays, les gens".Au-delà du sujet librement inspiré d'un fait divers survenu au Mexique, c'est l'écriture de Sébastien Rutés qui interpelle. Peu de points, des phrases très longues seulement ponctuées de virgule, comme si la narration prenait corps avec le contenu : une route sans fin où de temps en temps les conducteurs reprennent leur souffle dans une station service.
Mictlan s'apparente à une fuite en avant. Personne, même les protagonistes, ne sait comment le récit va se terminer. Le chargement du camion a une valeur hautement symbolique : il incarne la conséquence de la folie humaine. Il existe des pays où le pouvoir des hommes autorise l'absence de limites.
Ed. Gallimard, collection La Noire, janvier 2020, 160 pages, 16€