Pourtant François a l'habitude de rester maître de lui, le calme et la réflexion sont des signes forts de sa personnalité. Chirurgien de profession, il analyse avant de soigner et réparer. Depuis quelques temps sa vie familiale se résume à lui seul dans le relais de chasse hérité de son père. Son épouse Maria est en quête de Dieu, son fils Mathieu est accaparé par un emploi très lucratif et une compagne exigeante, quant à sa fille Mathilde, étudiante en médecine, elle ne donne plus de nouvelles depuis peu.
"Mais ce qui domine dans ce paysage familial compartimenté, c'est un sentiment d'exclusion dont il peut se plaindre auprès des arbres, du ciel, des oiseaux, c'est à peu près tout".François est le pilier de cette famille un peu bancale, le seul peut-être a ne pas avoir changé avec les années, persuadé d'avoir transmis des valeurs qui auront le dessus, avec le temps, avec les petites digressions de la vie. Néanmoins, le sentiment d'exclusion est bien là, prégnant, qu'il oublie le temps d'une traque au cerf. La chasse est une passion et ce cerf, il l'a repéré depuis l'an passé. Le silence de la forêt, la neige qui tombe doucement accompagnent sa solitude. C'est l'image sur sa rétine d'une Mathilde en passagère de voiture qui roule trop vite, aperçue au détour d'un virage, qui va le bouleverser au point de ne pas réussir à tuer le cerf tant convoité.
"Ne pouvoir détourner sa fille de leur monde est plus qu'une défaite, c'est une faillite. Son monde à lui n'est plus assez vaste pour la contenir, qu'elle s'y ébatte à son aise".De Mathilde, il ne sait plus rien de sa vie, ou si peu. Il tente d'avoir de ses nouvelles par Mathieu qui semble faire des affaires avec le nouvel amant de sa sœur. François sent que sa fille lui échappe. Elle a basculé dans le monde de son frère : argent et paraître. Or Mathilde est un "papillon de lumière" qui risque vite de se brûler les ailes.
"Ne pouvoir détourner sa fille de leur monde est plus qu'une défaite, c'est une faillite. Son monde à lui n'est plus assez vaste pour la contenir, qu'elle s'y ébatte à son aise".Il sera là pour Mathilde, pour Maria quand elle reviendra - elle revient toujours - de sa période mystique, pour Mathieu quand il décidera enfin de se poser, mais qui sera là pour lui ?
"François se tient dans une église vide, c'est le vent qui souffle entre ses os. Il baisse la tête enfouit ses mains dans les poches, se dirige vers la maison, la neige geint sous ses semelles, les trois marches du seuil, il pousse la porte, la lumière du hall veille".Chaque être est soumis à la tentation. Tentation de la religion pour les uns, de la richesse et de la possession pour les autres, chacun est animé d'un désir qui le dépasse. François est le rempart, celui qui empêche par sa présence, son cheminement, ses silences, de basculer pour de bon. Mais ce rôle de gardien du temple a ses limites et Luc Lang décrit avec finesse ce qui se joue dans le crâne de cet homme torturé et témoin sans force des choix de sa femme et de ses enfants.
La Tentation est fidèle à l'univers littéraire de son auteur construit roman après roman. Les personnages sont entiers, jusqu'au-boutiste, et évoluent dans des paysages qui sont le reflet de leur état d'esprit. La lumière n'est jamais loin, mais elle semble inatteignable tant les obstacles à surmonter s'accumulent avec une violence rare.
Ed. Stock, août 2019, 360 pages, 20€