Kate et Jeff se sont aimés, puis séparés. Quand ils se sont retrouvés, il ont décidé de prendre leur temps puisque Jeff partait faire des études en Israël. Sauf qu'un attentat a brisé leur histoire.
Cela fait un mois que Jeff est mort et Kate ne le sait toujours pas. Du fin fond des Baléares, elle n'a pas su que son amoureux faisait les gros titres des journaux, étalant sa vie comme si l'événement en soi n'était pas assez tragique. C'est sa mère, sous couvert d'un masque mortuaire de circonstance, lui a dit en jouant avec elle à un sordide jeu des devinettes.
"Tous les journaux parlaient de sa mort. Il était devenu un simple prénom, "Jeff", désormais réduit par les titres à une familiarité de circonstance. Devenu un fait divers qui divertit, un décès sur qui l'indécence de chacun avait sa petite opinion. (...) Mais répéter ça ne ressuscite pas, au contraire, ça banalise".Un mois c'est à la fois beaucoup et peu pour se faire à l'idée d'une disparition. Kate n'a même pas pu aller à l'enterrement. Elle se retrouve seule avec son deuil et le choc qu'il implique. Pour son entourage, notamment sa mère, elle en fait un peu trop, vraiment, puisqu'au fond ils n'étaient plus vraiment ensemble.
Kate, outre cette violence larvée, doit faire face aux souvenirs, aux "si j'avais su", aux "si je lui avais dit". Elle se dit qu'elle sera un jour plus vieille que lui. Mais comment réussir à vivre avec cette plaie béante nourrie de remords et de regrets ?
"Kate ne sait plus si ce qui vient d'arriver s'est véritablement produit ou si elle l'a inventé. Le souvenir qui lui reste, c'est l'absence de certitude d'avoir seulement été aimée. Un manque de souvenirs. Le souvenir d'un manque. Preuve par l'absence".Et puis à force de résister à son hystérique de mère, Kate décide de faire du décès de Jeff une force qui lui permettra d'avancer et de taire celle qui l'étouffe. "Vivre c'est résister à la mort", c'est aussi vivre avec sa peine. Le temps la patine mais ne l'efface pas. Seulement elle doit accepter la disparition de Jeff afin de se donner de la place pour exister.
"La peine infinie se termine sur un infinitif : quitter. Non pas mourir ni partir, mais quitter. Aucun mot à dire, rien ne s'ajoute, mourir c'est partir dans l'infinitif, il n'y a plus de conjugaison possible. Il y eut le verbe et la lumière fut, maintenant le voilà, une disparition".Attendre un fantôme démontre que vouloir vivre avec un défunt est définitivement toxique, surtout quand la famille banalise la disparition. Dans son second roman, Stephanie Kalfon raconte avec pudeur toutes sortes de violence : celle de la mère - dont le portrait est brillamment construit - , celle de la mort, celle de la survie à l'autre. Mais elle raconte aussi la renaissance de Kate après une âpre résistance à la toxicité.
Attendre un fantôme est le roman de l'après, celui de l'apprivoisement, de la douleur de la perte et de l'apprentissage de la vie sans. Jamais dans l'excès ni le pathos, il explore les relations familiales et interroge le lecteur sur son rapport à la perte.
Ed. Joëlle Losfeld, août 2019, 144 pages, 15 €