Alors que l'Humanité décline, épuisée par sa consommation excessive et sa perte de repères fondamentaux, une entreprise dirigée par une femme tire son épingle du jeu en promettant la vie éternelle à une poignée d'élus.
Qu'il est loin le temps où les géants du Net compilaient les données de chacun à partir des fameux cookies. En 2060, Google, en échange d'un revenu universel, vous pille toutes les données vous concernant pour diriger votre vie sans que vraiment vous vous en aperceviez. Malgré ses recherches frénétiques sur la vie éternelle, c'est l'entreprise Transparence qui, avec son programme Endless, se lance dans le marché très convoité de la vie.
"Transparence a été créée sur l'idée que l'individu ne peut échapper à ce qu'il est et que toute personne doit être en mesure de tout savoir sur son interlocuteur".On pourrait croire que seuls les plus fortunés pourront en profiter, mais non. L'argent ne sera plus un critère. Seules les informations numériques, bible intime de la vie de chacun, serviront. "Nous prendrons le meilleur de l'humanité selon nos critères et non pas selon ceux édictés secrètement par Google" explique sa dirigeante. Et pour mieux "vendre" son produit, elle décide de devenir ce qu'elle promet : un prolongement d'elle-même après la mort, enveloppe synthétique naturelle "remplie" de l'esprit de la personne.
Ce projet provoque un véritable choc mondial. Krach boursier, tensions politiques, grand désarroi chez les religieux qui avaient depuis toujours bâti leur religion sur la promesse de la vie éternelle. Le survivre ensemble, déjà fragilisé par la société consumériste à outrance et le réchauffement climatique, vole en éclat.
"Je veux seulement rendre à l'Homme une forme de dignité, de pensée, de libre arbitre, de rêverie, d’irrationnel et le sortir de ce siphon dans lequel il est aspiré pour que sa conscience serve à autre chose qu'à consommer sans fin et à valoriser des fortunes déjà considérables qui n'ont d'autre objectif que de grossir encore et toujours".C'est donc avec ce discours que la présidente de Transparence fait le tour des hommes d'Etat qui comptent. Elle explique ainsi que "l'homme divorce de la biologie" pour mieux assurer la survie de son espèce. Discours assez ambigu et paradoxal de la part d'une mère qui tente de faire le deuil de son garçon unique et dont le conjoint refuse à tout prix de devenir le larbin de l'industrie numérique.
L'Islande, dernier endroit sur Terre où le réchauffement climatique n'est pas encore trop visible, devient alors le berceau de la nouvelle humanité. Sauf que les interlocuteurs de Transparence n'y croient pas. "Le monde dont vous parlez est une fiction", répond même l'un d'entre eux. Et si finalement cette histoire de vie éternelle était elle aussi une vaste supercherie pour mieux profiter des dernières miettes dans le crépuscule de notre civilisation ?
Sous couvert d'un roman d'anticipation, Transparence se veut être une vaste réflexion sur l'avenir de l'humanité à partir de ce que nous vivons aujourd'hui dans le monde : Google de plus en plus gourmand, les réseaux sociaux, la présidence de Trump.... Dès lors, Marc Dugain utilise son héroïne pour exprimer ses craintes sur le futur de notre planète en général et notre perte de vie privée en particulier.
Très intéressant sur les trois quarts, le roman aurait mérité cependant une fin plus vraisemblable, même si on comprend bien que l'idée principale et de nous mettre face à un miroir de notre société et pousser à l’extrême les ressorts de la fiction pour mieux dénoncer les incohérences de notre temps.
Ed. Gallimard, collection La Blanche, mai 2019, 224 pages, 19€