On dit que l'amitié entre personnes est dénuée de toute arrière pensée. Alors quand les Havilland couple richissime et excentrique offre leur amitié à Helen qui galère dans la vie, cette dernière veut y croire...
Un soir de vernissage d'une exposition d'art contemporain Ava Havilland jette son dévolu sur Helen presque là par hasard et décide d'en faire son amie.
"Elle prétendait avoir décelé quelque chose de particulier dans mon visage (...) Peut-être simplement le besoin qu'on vienne à mon secours. Or elle avait l'habitude de recueillir les animaux abandonnés".Or chez Ava et Swift Havilland l'amitié se traduit par une remise à plat de tout : habitudes, amitiés précédentes, travail. En échange, la porte de leur vaste maison est toujours ouverte et on vous offre la possibilité d'entrevoir une autre vie que la vôtre.
"Un lieu qui signifiait la vie - la vie et la chaleur humaine. Une maison-corps dont Ava était le cœur".Helen s'accroche à cette amitié car elle en a bien besoin. Elle a perdu la garde de son garçon Oliver à cause de ses problèmes d'alcool. Et même si elle tente de reprendre sa vie en main en participant à des réunions des AA et en travaillant comme photographe, elle a du mal à panser les blessures du passé.
"Nous devons vous procurer une vraie vie, me dit-elle. Comme s'il s'agissait de m'acheter un corsage ou un article de cuisine".Bizarrement, Helen ne s'étonne pas de la réflexion d'Ava. Celle-ci, clouée dans un fauteuil roulant depuis un grave accident de voiture, a décidé de la prendre en charge. Elle engage Helen comme photographe et s'intéresse de près à sa vie privée. Quand Ava a un avis, il est définitif.
"Privée de l'amitié d'Ava, je restais incapable de me rappeler ce que j'avais pu être sans elle".Swift Havilland est beaucoup plus dans l'excès. Il est le pendant de son épouse et n'hésite pas à devenir un père de substitution quand Helen récupère Oliver pendant les vacances. Surtout, c'est un type qui a une vision personnelle de la justice et du droit, le principal étant d'arriver à ses fins.
"La meilleure façon d'obtenir que les gens te croient quand tu mens, c'est de glisser des trucs vrais dans ton histoire fausse. Ensuite ils croiront n'importe quoi".Et c'est finalement ce qui arrive. Helen, pourtant alertée bar son petit ami du moment, refuse de croire aux mensonges des Havilland. Elle refuse de considérer qu'elle leur est dépendante. La multitude de détails réels lui font croire obstinément que ce sont des gens biens. Et tant pis si quelques alertes lui ont fait croire le contraire ou si quelques personnes la préviennent. Elle met tout ceci sur le compte de la jalousie.
"Aucune photo - et j'en ai pris des centaines, un millier peut-être - ne saurait rendre compte de ce que j'éprouvais à me trouver dans un tel lieu, en la compagnie de ce couple magique".Il faut qu'un drame survienne pour qu'Helen se réveille et regarde dans le rétroviseur de sa vie avec les Havilland.
"J'étais juste bonne à prendre des photos. La vie à travers le viseur de mon appareil".Les moments de doute, pourtant furtifs ont laissé la place à un sentiment de trahison qui se substitue à celui de la perte. Et Helen se demande comment elle a pu en arriver là ; les Havilland l'ont parasitée.
De si bons amis est sûrement un des meilleurs romans de Joyce Maynard. Grâce à une exposition lente et méticuleuse de l'amitié entre Helen et les Havilland, l'auteure met en place tous les pions pour une fin brutale et sans ambages, un dénouement aux antipodes des valeurs du mot amitié.
Dès le début du roman, le lecteur comprend que l'héroïne-narratrice a vécu une histoire forte avec le couple mais qu'elle est de l'ordre du passé. La raconter lui permet de se détacher des événements et de prendre le recul nécessaire pour bien comprendre les responsabilités de chacun.
L'amitié a un prix dit-on. Helen l'a chèrement payé.
Ed. Philippe Rey, janvier 2019, traduit de l’anglais (USA) par Françoise Adelstain, 333 pages, 22€