lundi 29 avril 2019

La Boîte noire, Ito Shiori

Les mauvaises langues pourront dire qu'elle était naïve de ne pas voir le loup arriver déguisé en collègue prêt à  lui fournir du travail. Seulement, entre gens civilisés, on ne pense pas qu'une simple rencontre entre collègues pour finaliser un futur contrat va se terminer dans une chambre d'hôtel, nue sur un lit, hébétée, avec aucun souvenir de ce qui s'est passé.


Ito Shiori, diplômes de journalisme en poche, décide de terminer son cursus aux Etats-Unis. Là-bas, la vie est difficile, les bourses ne suffisent pas, mais elle rencontre des expatriés comme elle dont des journalistes travaillant pour TBS (Tokyo Broadcasting System) notamment un de ses cadres qui semble tout de suite intéressé par son CV.
De rencontres en email, ce dernier lui promet un poste soit au Japon soit aux Etats-unis. Pour soi-disant finaliser le contrat promis, une rencontre au restaurant se fait. Les derniers souvenirs de cette soirée sont les quelques verres de saké. Elle se réveille dans une chambre d'hôtel, nue sur le lit avec une grande sensation de douleur. Son collègue est "tranquillement" en train de la violer.
 Dans ce fait-divers, ce qui est sinistre au delà du viol, est l'attitude du violeur. Ce dernier la laisse quitter la chambre, continue de répondre aux mails qu'Ito Shiori lui envoie pour comprendre ce qui s'est passé. Pour lui, le rapport sexuel était consenti. Il ne comprend pas l'angoisse de sa victime.
Ce comportement accentue l'état de sidération de la jeune femme. Des souvenirs lui reviennent sous la forme de flash. Quand elle ose se rendre dans un hôpital pour examen gynécologique, il s'est passé une semaine. Trop tard.
"C'est ici au Japon, le pays où je suis née, ce pays réputé pour être l'un des plus sûrs d'Asie, que j'ai connu l'insécurité. Et ce qui a suivi le viol a achevé de m'anéantir. Je n'ai trouvé de secours nulle part. Ni les hôpitaux, ni les lignes d'assistance téléphonique, ni la police ne m'ont apporté leur aide. J'ai découvert avec effarement un visage inconnu de la société où j'avais vécu jusque là".
Commence alors un parcours du combattant entre le dépôt de plainte, les examens médicaux, les cellules de soutien injoignables ou peu réactives. En plus, l'agresseur a le bras long et quelques personnes de son entourage sont intervenues pour classer l'affaire sans suite ou pire, convenir d'une somme à l'amiable pour enterrer l'affaire.

Le temps passe et Ito Shiori s'emploie à prouver que sa "boîte noire" est une histoire grave. Dès lors elle pointe du doigt les failles du système judiciaire de son pays.
"Le procureur chargé de l'affaire m'a déclaré que l'événement s'était passé à l'intérieur d'une pièce fermée, une boîte noire".
 Elle refuse l'accord amiable et décide de se battre en appel, tout en travaillant comme journaliste free-lance.
"Il faut que je parle. Il n'y a pas d'autre voie. Mon travail est de témoigner. Me taire, c'est tolérer le crime qui a été commis".
Le livre d'Ito Shiori est un récit coup de poing. Sans fioriture, il décrit les méandres des petits arrangements entre amis, les béances du système nippon, mais surtout il raconte les sentiments, les émotions d'une victime qui se sent isolée et incomprise.
Raconter est une forme de thérapie, l'auteur l'a bien compris. Enfin et surtout, elle dénonce le sempiternel refrain qui fait de la victime une femme consentante, forcément.

Ed. Philippe Picquier, avril 2019, traduit du japonais par Jean-Christophe Helary et Aline Koza, 256 pages, 19.50€
Titre original : Black Box