Ivan Repila poursuit la parabole entamée dans son précédent roman Le Puits dans lequel il faut d'abord détruire pour se reconstruire. Cette fois-ci, c'est la ville et son architecture qui structure le récit.
Quand on lui propose de dessiner et superviser la création d'un quartier entier de sa ville natale, Emil est en liesse. Il est à l'apogée de sa carrière. Il sait qu'après cela, tout ce qu'il entreprendra n'aura plus la même saveur.
"A l'époque, tout n'était déjà plus que ville : quinze, vingt millions de fantômes reliés par des ponts ou des bâtiments aux quinze, vingt millions suivants, lesquels faisaient partie de l'armature d'un monde en expansion disposé en avenues, quartiers, communes, provinces et pays ; une grappe sans fruits, un maillage avide de lui-même, possédé par une faim structurelle qui était à la fois aliment et chaîne, avec la persévérante volonté de s'assimiler et de comprendre quoi, qui, comment, quand. Pourquoi".Alors qu'Emil commence à réfléchir à son nouveau projet, un homme et son chien arpentent les rues de la ville. On le surnomme le Muet depuis qu'il a décidé de ne plus parler. Avec son amie H, il se sent "hors contexte", "comme s'il avait mal quelque part.Comme s'il connaissait l'existence d'une infection". Chaque jour, il erre, croisant les mêmes personnes, se repérant aux mêmes bâtiments. Quand il croise Oona il est irrésistiblement attiré par sa beauté et la grâce qu'elle libère quand elle marche.
De toute façon Oona a décidé de quitter Emil. Depuis quelques temps, ce dernier entretient d'étranges obsessions et vit dans le noir. Les plans du futur quartier ont grignoté sa raison. Il se persuade qu'il doit flirter avec le chaos pour créer quelque chose de grandiose.
"Faire. Défaire".Tandis qu' Emil sombre dans la folie, le Muet entreprend le chemin inverse. Les laissés pour compte voient en lui un modèle à suivre. Bien malgré lui il devient un exemple. Il est l'incarnation de tous les possibles de la ville. Elle devient un personnage à part entière.
"Construire. Détruire. Reconstruire".
"Toutes ces découvertes produisirent en lui un vide autant qu'une étrange réjouissance, comme ce qu'éprouve un homme qui a réussi à remonter une vieille horloge en utilisant toutes les pièces, sans en écarter aucune".Les immeubles sortent de terre, de nouvelles rues apparaissent et la foule des mécontents augmentent. Emil doit l'affronter pour se sentir vivant et sortir enfin de son entreprise de destruction.
Prélude à une guerre n'est pas un roman comme les autres. Il y a plusieurs couches de compréhension. Ivan Repila manie avec brio l'art de la métaphore et poursuit la parabole entreprise dans son premier roman selon laquelle la destruction est une condition à la possibilité d'une renaissance.
Emil se trouve au cœur d'un maelstrom architectural dont il croit être le seul à détenir les clés. Le Muet, pourtant, sent battre le cœur de la ville en constante permutation. Il est un frein aux projets de l'architecte. L'auteur mêle le destin de la ville à celui de son personnage principal. Ils sont étroitement liés. De ce fait, l'affrontement qui occupe le dernier tiers du roman est à la fois physique et spirituel.
Avec ce texte, Ivan Repila se sert de la littérature comme un champ de bataille de l'esprit et aiguise la curiosité du lecteur.
Ed. Jacqueline Chambon, février 2019, traduit de l'espagnol par Margot Nguyen Béraud, 270 pages, 22.50€ (préface d'Eric Chevillard)
Titre original : Prologo para una guerra