mercredi 6 février 2019

Edith & Oliver, Michele Forbes

Ce roman aurait pu être le récit d'une histoire d'amour au début du vingtième siècle, en Irlande, avec son lot de magie et de désillusions. Mais c'est surtout l'histoire d'un homme qui, à force de ne pas croire en lui et décevoir les siens, sombre inexorablement.

Quand le petit Oliver a perdu sa mère, il est resté seul avec son grand frère et son père. Puis le frère est parti. Il a du alors affronter les crises de démence de celui sensé le protéger jusqu'à ce qu'il disparaisse sans laisser de traces.

Justement, la disparition, c'est l'affaire de sa vie. Devenu adulte, Oliver écume les cabarets en tant que magicien.
"Jamais dans ses rêves les plus fous il n'avait imaginé la voie que sa vie allait emprunter. Jamais il n'avait envisagé une carrière à ce point éloignée du milieu dans lequel il était né. Un univers riche et varié, peuplé d'êtres merveilleusement disparates, dans lequel il avait trouvé sa place, où les occasions de rédemption se présentaient sans cesse".
Nous sommes en Irlande en 1906 et les prestidigitateurs ont le vent en poupe, influencés par les tours d'Houdini, le roi de l'évasion. Pourtant, il faut sans cesse se renouveler car le cinéma muet arrive à grands pas et vole le public.
"Se produire sur scène offrait systématiquement la possibilité d'une métamorphose publique : le jeune garçon nerveux et effrayé devenait alors l'homme qui n'a peur de rien".
Oliver rencontre Edith sur un malentendu, un soir de beuverie après un spectacle. Sa dextérité au piano et son sourire vont mettre fin à son célibat.
"La représentation de 6h45 voit Oliver au sommet de sa forme, tout comme Edith qui surpasse l'orchestre, faisant ressortir chaque nuance et soulignant chaque mesure. Oliver est galvanisé par son entrain. Il se félicite que Sullivan ait déguerpi et espère qu'Edith sera embauchée pour le reste des représentations".
Ils se marient alors qu'Edith attend des jumeaux.

Mari et père, quelle responsabilité ! Oliver devient soutien de famille et s'absente de plus en plus laissant à Edith la charge du foyer et des enfants.
"Edith songe à ce rôle qui est le sien, cette responsabilité inédite qu'on lui a octroyée et qu'elle est censée endosser. Elle se demande si elle est à la hauteur".
Cette dernière accepte cette vie remplie de solitude et d'économie, confiante du succès de son mari. Or Oliver n'est pas comme son frère qui a réussi en tant que banquier. Il a tellement peur de décevoir  qu'il court irrémédiablement à l'échec.
"Oliver s'allonge sur son étroit lit en fer et scrute l'obscurité au-dessus de lui. Il a froid. L'impression d'être enterré vivant, enseveli dans la terre glacée (...) Les réflexions se bousculent dans sa tête. Il pense à l’enthousiasme invariable du public devant son numéro de 'La Méduse' et il sait qu'il peut électriser l’assistance encore davantage, il sait qu'il peut devenir une tête d'affiche".
Les fantômes du passé sont omniprésents et seul l'alcool les font fuir un temps.

Ni l'amour d'Edith qui va le suivre à travers le pays avec les enfants pour lui donner du courage, ni sa quête pour devenir un homme bon ne permettront à Oliver d'atteindre ses objectifs. La magie a un arrière goût d'échec et n'a plus de beaux jours devant elle. D'ailleurs, sa fille Agna refuse obstinément de lui parler depuis sa plus tendre enfance. Ce refus n'est-il pas la preuve qu'il est un raté ?
Alors, comment ne pas tout perdre ?
"La corvée de devoir tout recommencer. Il sait qu'il doit continuer à croire qu'il a quelque chose à offrir, quelque chose d'exceptionnel, mais plus le temps passe, plus il devient difficile de garder la foi".
Edith & Oliver commence sur un constat : une femme rentre en Angleterre avec sa fille, laissant derrière elle son mari. Et finalement, bien que le roman soit centré sur le personnage masculin, c'est Edith qui, au fil des pages, devient la véritable héroïne. Elle est un exemple de force et d'abnégation, un mélange de volonté et de renoncement, bref elle incarne l'antithèse de son époux Oliver.
Sans elle, le roman perdrait de sa consistance et le portrait cabossé d'Oliver ne serait plus aussi intéressant.
Michèle Forbes décrit un monde du spectacle à la fois dur, oppressant et sans pitié, mais aussi léger et joyeux, qui absorbe avec lui ceux qui veulent bien s'y perdre et rejette sans pitié ceux qui sont confrontés à l'ordinaire.


Ed. Quai Voltaire, traduit de l'anglais (Irlande) par Anouk Neuhoff, janvier 2019, 448 pages, 23.5€
Titre original éponyme