Clara est pris en tenaille. Sa folie lui grignote chaque jour un peu plus de lucidité. Pourtant, Clara n'est pas seule. "Les émissaires redoutées de la Réalité Quotidienne" veillent sur elle.
"Nous, les malades mentaux, nous sommes aussi des réfugiés" pense Clara. Tout comme l'héroïne de son roman, Kamar, réfugiée syrienne fraîchement débarquée à Toronto. Pour écrire, Clara a essayé d'être aussi lucide que sa sœur Julia. Dans sa plume, elle y a mis tout son cœur, mais au moment de chercher un éditeur, elle se sent incapable de gérer l'après.
"C'est en faisant d'être Julia que j'ai pu écrire ce roman. C'est mon roman, pas le sien. Elle ne sait pas qu'il existe. La langue n'est pas en guerre avec Julia, elle ne se casse pas en mille morceaux au milieu d'une phrase".D'ailleurs, Bridget et Kevin, les voix perpétuelles qui vivent dans sa tête, ne l'aident pas à assumer. Alors, elle dépose son manuscrit à la porte de Daisy, femme écrivain, en lui demandant de le publier sous un prête nom.
Chez Clara, la fuite est un état permanent. Sa psychose lui ronge ses instants de lucidité. Elle reproche à sa mère Alice une maltraitance passée chimérique. Quant à Julia sa sœur, leurs rencontres sont sporadiques. Julia s'inquiète de l'état de santé de la jeune femme. Gérante d'une galerie d'art, elle est à la place qu'aurait dû occuper Clara croit-elle, car cette dernière était beaucoup plus douée. Julia développe une forme de culpabilité, et s'use d'être un intermédiaire entre une mère et une fille qui ne se comprennent pas.
"Clara dépend d'Alice. Je menace en raison de ma perplexité chronique devant la femme que ma sœur est devenue. Je n'arrive pas à me convaincre que sa maladie est un état permanent".S'éloigner des autres, s'éloigner du quotidien, trouver de la logique à tout ce qui l'entoure, tous ces éléments enfoncent Clara.
"Son besoin de trouver une explication logique à tout ce qui lui arrivait, lui faisait entrevoir des connexions là où les autres n'en trouvaient aucune".De fait, le langage magnifié par l'écriture est la seule incarnation de la lucidité défaillante de Clara.
"Si je respire, c'es parce que je respire le langage. Il y a tellement de mots autres que maman qui s'empilent en moi que son amour est poussé vers les abysses, je ne le vois plus, et je reprends des couleurs, comme on dit".Martha Ballie a fait le choix d'un roman choral pour brosser le portrait de Clara. La choralité pour expliquer un personnage fuyant, "un espace nié" qui remplit pourtant les esprits de ceux qui l'entourent. Ainsi, Julia, Daisy et Maurice, le collègue de Julia prennent la parole chacun leur tour.
Néanmoins, la grande absente reste Alice, la mère de Clara. En filigrane, on comprend que cette femme est celle qui détient les clés pour apporter un peu de répit dans l'esprit de sa fille malade.
"Les malades mentaux sont des espaces niés. Je suis l'espace qui entoure les plus ancrés",commente l'héroïne du roman. Si Clara raconte la collision des vies qui gravitent autour d'une femme dont les voix lancinantes dans sa tête la poussent un peu plus chaque jour à vivre en marge du monde.Au fil des pages, se dresse le portrait d'une nouvelle écrivain, auteur d'un manuscrit génial, sorte de testament déposé d'une raison qui disparaît.
Ed. Jacqueline Chambon, traduit de l'anglais (Canada) par Paule Noyart, 208 pages, 21.50€