lundi 8 octobre 2018

Les Jours de silence, Phillip Lewis

Henry Aster a tiré sa vision du monde de la somme des livres qu'il a lus et conservés. C'est de là sûrement que lui vient son inaptitude à comprendre la société qu'il l'entoure et son angoisse permanente de ne pas être le père qu'il faut. Alors quand il disparaît subitement, c'est Henry Junior qui devient l'homme de la famille. Mais est-il prêt pour cela ?


"Il avait une façon bien particulière de regarder le monde, il voulait pouvoir transmettre à toute personne intéressée ce qu'il observait et savait être vrai, et nourrissait l'espoir de trouver quelque part quelqu'un qui comprendrait qui il était vraiment".

Avocat et intellectuel. C'est ainsi que les habitants du petit village de Old Buckram désigne Henry Aster. Pourtant il ne vient pas d'une famille de lettrés, c'est même le seul qui a fait des études. Pourtant, dès qu'il a pu, il est revenu non loin de ses parents avec femme et enfants.
Henry pense trop, réfléchit trop. Il y a toujours un instant latent avant qu'il se reconnecte au monde qui l'entoure. C'est surtout qu'il ne le comprend pas et  qu'il est persuadé qu'il n'est pas fait pour lui. Alors, il se met à écrire.
"Il se mit alors à écrire pour de bon. Il écrivit sur Maddy. Sur Old Buckram. Sur la brume blanche qui montait en tourbillons dans les vallées, sur les montagnes encore verdoyantes du premier plan qui se confondaient dans le lointain en nuances d'un bleu magnifique".

Avec son épouse Eleonore, ils élèvent leurs enfants dans le respect du prochain, des livres et des grandes idées. Eleonore est plus terre à terre ; elle affronte l'adversité, avance malgré les obstacles et les décès. Henry, lui, s'affaisse peu à peu, devient une ombre et surtout l'alcool n'arrive plus à taire cette petite voix qui le convainc qu'il ne sera jamais un père modèle. Les hivers à Old Buckram dans leur grande maison isolée en haut de la colline sont les plus douloureux.
"Pour lui, Old Buckram portait une tristesse qu'il ne se croyait pas capable de jamais pouvoir surmonter, et sans savoir pourquoi. Il l'appelait "silence d'intranquillité".
"S'il faisait bonne figure, il n'était bel et bien pas à sa place à Old Buckram, ni dans son époque". 
Henry Junior et Threnoby (du nom d'un poème d'Henry Senior) grandissent dans l'ombre d'un père de plus en plus inadapté au monde. Les jours de silence deviennent pesants. Même Eleonore passe plus de temps au soin de ses chevaux. Henry Jr devient un modèle pour sa petite sœur. Quand un après-midi leur père ne réapparaît pas après une promenade, il devient l'homme de la famille, le référent. Mais du haut de ses dix-sept ans, il ne se sent pas avoir les épaules assez larges.
Ainsi l'université devient le prétexte. Il fuit sa mère et sa sœur pour vivre sa vie. Il rejette le souvenir de son père ainsi que ses grandes idées ; il lui ressemble tant ! A force d'excès, il décide de rejoindre le giron familial pour enfin assumer qui il est et retrouver Threnoby.

Les Jours de silence aurait pu être le roman d'un homme qui tente d'écrire le roman d'une vie. Seulement, il glisse vers le récit d'un fils qui, le temps passant, raconte son histoire et celle des siens. On trouvera peu de réponses concrètes aux circonstances qui ont poussé Henry Aster à disparaître, mais on constate assez vite les conséquences concrètes de son choix. Il laisse une famille abîmée, tronquée, à la recherche vaine d'un "membre fantôme". Malgré les années, il reste une ombre persistante avec une influence certaine. On est toujours le fils de quelqu'un et Henry Junior va devoir aussi se battre contre les mêmes démons qui avaient envahi son père  :
"Le temps ne suffit que quand on a la volonté d'en faire quelque chose. Je ne l'ai pas. Au diable cette vie et cette maison".
Phillip Lewis n'a pas écrit un roman d'aventures. Il a plutôt intégré une histoire dans un décor flamboyant (les Appalaches et la Caroline du Nord) dans lequel les saisons sont en phase avec les états d'esprit des personnages. Chaque lecteur y trouvera son compte mais pas pour les mêmes raisons. Les silences, les non-dits, les jours d'intranquillité deviennent des éléments à part entière à surtout ne pas négliger.
Premier roman d'un auteur prometteur, Les Jours de silence reste une découverte agréable, bien maîtrisée qui mérite qu'on s'y attarde.

Ed. Belfond, août 2018, traduit de l'anglais (USA) par Anne-Laure Tissut, 432 pages, 22€
Titre original : The Barrowfields