vendredi 5 octobre 2018

La Vraie vie, Adeline Dieudonné

Parfois j'ai lu "chef d'oeuvre", "roman fabuleux", "coup de poing",  pour désigner ce roman de la rentrée littéraire sélectionné pour les grands prix d'automne. Ce qui m'a intrigué, c'est le jugement définitif, hystérique et dithyrambique balancé sur les réseaux sociaux.Cela a éveillé ma curiosité. Alors, je l'ai lu et je m'y suis perdue. Voici pourquoi.


D'emblée, je me suis crue dans un conte moderne : un ogre, une sorcière, des enfants en danger, une résidence au bord d'un bois dans une vallée en forme de V creusée par un dragon ... Bien écrit, je me suis laissée prendre au jeu. La structure narrative classique (situation initiale, élément déclencheur, péripéties) ainsi qu'une écriture bien maîtrisée aide à la lecture : on tourne facilement les pages car le lecteur s'attache très vite à la petite héroïne et narratrice de l'histoire.

Cette gamine a bien du courage. Son frère et elle grandissent dans un climat de violence entre une mère effacée au point que sa propre fille la décrit comme "une forme de vie primitive,unicellulaire, vaguement translucide. une amibe. Un ectoplasme, un endoplasme, un noyau et une vacuole digestive", et un père "ogre" ivre de sang au point qu'il faut le nourrir à la viande bien rouge et qu'il a indexé une pièce de la maison pour y exposer ses trophées de chasse.
"C'était un homme immense, avec des épaules larges, une carrure d'équarrisseur. Des mains de géant. Des mains qui auraient pu décapiter un poussin comme on décapsule une bouteille de Coca".
Quand la pression de sa pauvre vie est trop forte ou quand il en a marre de pleurer sur la même chanson de Claude François, il se défoule sur son épouse...
Or, ce n'est pas cette violence là qui va tout faire basculer. C'en est une autre, soudaine et accidentelle. Un accident bête et sanglant comme la fiction sait en inventer et qui fonctionne. Les enfants en sont témoins et cette vision d'horreur aura des conséquences majeures sur la suite du récit. Bizarrement, aucun adulte ne va les aider psychologiquement. Ils ont vu, tant pis, on passe à autre chose...
La narratrice va tout faire pour "récupérer" son petit frère. Elle a vite compris que la flamme de son regard s'est éteinte et que son sourire s'est mu en un rictus qui n'est pas sans rappeler la sauvagerie larvée du père.
L'idée est belle ; elle ne veut plus de cette "vie brouillon". Elle veut une "vraie vie" où elle sera maîtresse de son destin et où elle entendra de nouveau le rire de son frère à la place de son silence glaçant.
"A partir de ce moment-là, ma vie m'est plus apparue que comme une branche ratée de la réalité, un brouillon destiné à être réécrit, et tout m'a semblé plus supportable".
Pour cela, il suffirait de remonter le temps, de bricoler un engin qui, avec la magie de son amie Veronica, remettrait tout dans l'ordre. Au passage, la violence s'envolerait enfin.
"Nulle part où me cacher. Et si je ne peux pas me cacher, rien n'existe. Rien d'autre que le sang et la terreur".
Mais rien ne se passe comme prévu. Veronica déçoit, la narratrice plonge corps et âme dans les études et le petit frère sombre au point de faire de la pièce à trophées son espace intime...

C'est à ce moment que j'ai perdu pied. Le récit vacille, part dans une autre direction. Soudain, la belle idée s'efface en arrière plan. La gamine lutte contre son instinct animal, le frère se mue en psychopathe en culottes courtes, la mère se fait tabasser encore et encore, le père organise une battue en pleine nuit faisant de sa fille la proie à retrouver. De son frère, elle explique :
"Il ne manifestait pas le moindre intérêt pour quoi que ce soit, excepté la mort. Je crois qu'en réalité il ne ressentait presque plus rien. Sa machine à fabriquer les émotions était cassée. Et le seul moyen d'en ressentir était de tuer ou de torturer".
Où est l'étincelle des premières pages ? J'ai eu l'impression de m'enfoncer. C'est glauque, c'est malsain et même les pages (pourtant bien écrites) sur l'éveil à la sexualité n'ont pas eu l'effet escompté. Les personnages secondaires ne sauvent pas les meubles puisqu'ils sombrent eux aussi dans la caricature. Seulement, j'ai continué la lecture, curieuse de savoir quelle a été la porte de sortie choisie pour conclure ce galimatias de bonnes idées transformé en brouillon. Et puis je me suis accrochée à une phrase de la gamine :
"Les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n'arrive pas dans la vraie vie".
L'héroïne est intelligente, sensible et il valait mieux car elle porte à bout de bras un récit qui perd de son intérêt au fil des pages.
Sa mère lui dit : "gagne de l'argent et pars", ultime sursaut de raisonnement d'une femme qui subit sa vie.
Amis lecteurs, je me permets de vous dire : "beaucoup de bruits pour rien !", ultime sursaut d'une lectrice déçue.


Ed. L'Iconoclaste, août 2018, 265 pages, 17€