Antonia, femme photographe, vient de mourir dans un stupide accident de voiture. Dans une église remplie, lors de la messe de funérailles menée par son oncle prêtre et parrain, beaucoup se souviennent de cette fille qui ne prenait jamais le temps de se poser.
La photographie est un art. Elle capte un instant donné pour l'éternité, figeant des paysages, des hommes et des femmes à jamais. Depuis ses quatorze ans, Antonia fixe le monde qui l'entoure. C'est son parrain, son oncle maternel qui lui a offert son premier appareil photo. Son truc à elle c'est de photographier les gens en général, sa famille en particulier, même si elle s'attire souvent les foudres de ses proches. Prendre une photo est un acte magique et à la fois une annonce de mort. On fixe un instant pour se souvenir et se dire oui j'y étais.
"Peu lui importait d'appartenir ou pas à la famille de ceux qui avaient laissé leur trace sur le papier glacé. L'énigme consistait en l'existence de la trace elle-même : la lumière réfléchie par des corps désormais vieillis ou depuis longtemps tombés en poussière avait été captée et conservée au cours d'un processus dont l'aspect miraculeux ne pouvait être épuisé par de simples explications techniques".Photographier des paysages ne l'intéressait pas au point de s'étonner que ses connaissances arpentent les paysages corses à la recherche de tas de pierres abandonnés dans des lieux sombres, invoquant
"la puissance esthétique émanant de ce minutieux inventaire de la ruine qui ne parlait ni du passé ni de la nature mais seulement de l'inéluctable défaite des hommes".
Yougoslavie, réunions clandestines du FLNC, autant d'événements pour fixer des émotions, des visages et capter l'éternité. Au-delà, c'est la mort qui devient le véritable sujet.
"Le regard ne s'appuie sur les images que pour les traverser et saisir, au-delà d'elles, le mystère éternel et sans cesse renouvelé de la Passion. Oui, les images sont une porte ouverte sur l'éternité. Mais la photographie ne dit rien de l'éternité, elle se complaît dans l'éphémère, atteste de l'irréversible et renvoie tout au néant".
Antonia n'est plus et son oncle qui officie sa messe de funérailles remet en cause sa foi déjà bien vacillante. Il est un prêtre qui ne croit pas en Dieu et en cela, Jérôme Ferrari a construit un personnage fascinant qui devient au fur et à mesure la figure centrale de son roman.
Autour de lui, nombreux sont ceux qui se souviennent d'Antonia en une femme libre, indépendante, qui ne prenait jamais le temps de se poser au point que, de son vivant, elle était un fantôme d'elle-même aux yeux des autres. Ne restent que les souvenirs puisqu'il n'y pas ou peu de photographies de cette femme qui a perdu la vie dans un flash de lumière aveuglante.
Dans ce superbe roman, l'auteur invoque des personnages précurseurs de l'histoire de la photographie, la famille, les amis, les amants d'Antonia. Autour d'elle figée dans son cercueil, s'animent les fantômes des souvenirs qui permettent de créer une Antonia, à son image et fixée dans l'éternité, semblable à un beau portrait d'elle qu'un photographe aurait pu prendre.
Ed. Actes Sud, août 2018, 218 pages, 19€