Antoine Orsini est le baoul comme on le surnomme dans son village corse. Simple d'esprit, il raconte à une chaise l'histoire qui lui a valu une condamnation à quinze ans de prison. Et une autre vérité transparaît peu à peu.
Julie Estève a pris le parti de faire du simple d'esprit que tout le monde moque, le narrateur de son roman. Et cette narration en je se veut très vite plus cohérente qu'elle n'y paraît. Bien qu'Antoine s'adresse à une chaise à défaut d'une personne qui veuille bien lui accorder son attention, on sent très vite que sa confession insolite est une libération. Il raconte enfin à sa vérité, celle qui aurait pu -mais en a-t-il vraiment conscience ? - lui éviter la prison pendant quinze ans.Au cœur de son récit, il y a une jeune fille, Florence, la fille de l'épicière du village corse où le baoul a toujours vécu. Compagne de jeux, elle est restée celle à ses yeux qui continuait à le respecter en grandissant.
"Florence c'était une star, mais seulement au village. (...) Les autres gamines elles imitaient toujours ses coiffures. Elles voulaient la copier, avoir les mêmes habits. (...) Florence, elle ressemblait au soleil au zénith. La regarder, ça faisait suinter les yeux".Adolescents, il est devenu le témoin impuissant des agissements de son amie. Perpétuellement en quête d'attention, Florence s'amourache de celui qu'il ne faut pas, mettant de côté les éventuelles représailles. Pendant ce temps, Antoine fait tampon avec l'amoureux transi de Florence qui accepte de moins en moins le comportement de la jeune femme. Tous les hommes l'aiment, sont attirés par sa fraîcheur et sa jeunesse.
"Elle est un pays lointain à portée de main, pas obligé de prendre l'avion pour le paysage. Dans le village, c'est tombé sur elle et y a tout le monde qui la dévisage du haut, et du bas aussi. Les autres filles, elles existent plus quand Flo est là, c'est des figurantes comme dans les films".
Parce qu'il a été incapable de raconter de façon cohérente tout ce qu'il sait, Antoine est devenu le suspect numéro 1 aux yeux des villageois après la découverte du corps sans vie de Florence. Déjà, la mère de cette dernière l'a toujours cru dangereux et par moment, les comportements d'Antoine le desservaient. Avouer c'est plaire à ceux qui l'ont toujours rejeté, c'est aussi - dans son raisonnement de simple d'esprit - être enfin au cœur d'un événement.
Au fil de la narration, le lecteur remonte le temps et devient le témoin d'une histoire inextricable dans laquelle Florence, trop naïve, se trouve emmêlée. Antoine Orsini est le témoin clé ; sans s'en rendre compte, il sait tout mais personne ne le croit.
Le soleil corse, implacable, endort les consciences. Le baoul raconte, avec un rythme saccadé, haché, permettant à la virgule d'allonger ses phrases, sa vérité et à travers elle, il dresse un portrait sans compromis de tout l'entourage de la pauvre Florence.
Finalement, Julie Estève pose une question essentielle : l'idiot est-il vraiment celui qu'on croit ? Les secrets, les non-dits, les rumeurs sont devenus des vérités. On a cloué Antoine au pilori, c'était ce qui avait de plus simple à faire.
Ed. Stock, collection La Bleue, septembre 2018, 208 pages, 17.50 €