lundi 24 avril 2017

Une Chance minuscule, Claudia Piñeiro

Ed. Actes Sud, traduit de l'espagnol (Argentine) par Romain Magras, mars 2017, 256 pages, 22 euros.
Titre original : Una suerte pequena


Une chance minuscule reste une chance. C'est celle qui apparaît au milieu du trou noir de votre vie et vous permet de vous relever et d'avancer.

"Il y a des mères qui ont de la chance et à qui la vie épargne ces coups du sort.
Moi, je n'ai qu'une chance minuscule". 


Mary Lohan est de retour en Argentine pour évaluer un établissement scolaire susceptible d'avoir un partenariat avec un collège américain dans lequel elle travaille. Cela fait vingt ans qu'elle n'est pas revenue dans son pays natal. Autrefois, elle s'appelait Marilé Lauria, était mariée à Mariano, chirurgien propriétaire de la clinique, et élevait Alexandro leur petit garçon. Mais un événement traumatisant l'a fait fuir sans se retourner, se condamnant à une douleur silencieuse, mais abandonnant surtout son fils. L'abandon, pour exorciser la douleur.
"C'est cela, la vraie mort, c'est cette douleur qui jamais ne vous quitte, qui peut même grandir, prendre des proportions insoupçonnées, incommensurable.(...) Ne pas être là, voilà peut-être la douleur que je méritais vraiment".

Mary a reconstruit sa vie en étant une femme blessée. Elle doit cette chance minuscule à celui qui deviendra par la suite son compagnon, Robert. Rencontré dans l'avion qui l'éloignait de chez elle, il a été l'épaule sur qui s'effondrer, la béquille qui lui a permis d'avancer sans se retourner.
Car cette femme qu'il a trouvée sur sa route, complètement anéantie alors qu'elle venait d'abandonner son fils, il ne lui restait plus rien, elle n'avait même plus de nom".
Année après année il lui a appris à vivre avec son traumatisme et sa culpabilité. Oui, elle a fait une erreur de jugement en traversant la barrière de chemin de fer visiblement en panne, mais le drame qui a suivi, c'est le destin, et en cela elle n'est pas une meurtrière. Néanmoins, la communauté dont elle faisait partie en a jugé autrement et a commencé un travail de sape dont elle a été la cible. Alors, pour protéger Alexandro et lui donner une chance de grandir normalement sans avoir à supporter le poids de l'erreur de sa mère, Marilé a préféré fuir l'ostracisme forcené des autres.

Vingt ans ont passé et sa vie en Argentine est une parenthèse non encore fermée. Retourner chez elle, c'est affronter ses démons, croiser des personnes qu'elle a connues, raviver des souvenirs douloureux. Surtout que l'établissement qu'elle doit évaluer est celui que fréquentait Alexandro.
"Alors, si j'avais accepté, ce n'était peut-être pas parce que je n'avais pas su dire non ; peut-être était-ce au fond, parce que je l'avais voulu. Quelque part au fin fond de moi, dans cette zone intime où je n'ai plus la possibilité de répondre de moi-même, je l'avais voulu (...) Mon abîme à moi. Dix-neuf ans. Même plus, presque vingt. A attendre quelque chose ou quelqu'un, qu'une force à laquelle je ne pourrais m'opposer, qu'une circonstance irrémédiable et inéluctable m'oblige à revenir".
De lui, elle ne sait rien, ignore quel homme il est devenu et s'il se souvient encore de sa mère. Il avait six ans lorsqu'elle est partie. Que se passerait-il s'ils se croisaient ?
"Et mon fils, qui n'a plus la peau douce de ses six ans mais qui a eu le courage d'affronter la mère qui l'a abandonné.
De m'affronter, moi". 

Une Chance minuscule est un roman entièrement tourné vers son personnage principal, Marilé, narratrice du roman. Le lecteur sait tout de ses émotions, de sa culpabilité enfouie en elle, de son impossibilité d'accéder au bonheur. Abandonner Alexandro pour qu'il puisse grandir sans subir l'ostracisme des autres est un geste d'amour difficile à comprendre au premier abord. Alors, petit à petit, avec une écriture délicate, Claudia Piñeiro entreprend d'expliquer ce qui s'est passé. Elle ne juge pas son héroïne, laissant au lecteur la possibilité de forger sa propre opinion.
L'auteur a écrit un roman sur la rédemption intime d'une femme enfin prête à regarder en face ce qui l'a fait fuir. C'est aussi le récit de toutes ses petites chances de la vie qui vous permettent de tenir encore et encore malgré la tristesse et le chagrin.