Titre original : Last summer
L'assistant du metteur en scène d'une nouvelle production de La tempête de Shakespeare se raconte et raconte la vie de son employeur, le temps d'un été.
Cela ne dérange pas Thomas d'être dans l'ombre du grand metteur en scène Harry Greenberg, homme de théâtre qui a autrefois fui l'Afrique du Sud et le grand amour de sa vie Marilyn. Depuis, cet homme vieillissant n'a jamais refait sa vie, accordant toute son attention à ses acteurs, son assistant, et son chien Fire Dog.
"Mon amour pour elle était l'ingrédient magique. C'est ce qui faisait tout fonctionner. En la quittant, je l'ai aussi laissé derrière moi. Et il est mort en silence. (...) Quand l'idée d'elle, ou de quelqu'un comme elle, s'est évanouie, je n'ai plus su vers quoi me tourner. J'étais simplement à la dérive. J'ai cru que je pouvais remplacer cette absence par du travail. Mais le théâtre est un métier ingrat. Il existe dans le moment présent, mais, après coup, il reste très peu de choses".De toute façon Thomas n'est pas un homme qui aime montrer au grand jour ses émotions. Il est secrètement amoureux de l'actrice phare de la nouvelle mise en scène de la tempête, une certaine Lucy, qui outre le fait de répondre aux questions par des tirades théâtrales, vit sa vie comme une pièce de théâtre. Cette jeune fille assez superficielle a soif d'aventures et de nouvelles émotions, bien prête à ne plus supporter les incartades de Peter, son petit ami du moment. Elle jette alors son dévolu sur Kim, un étrange jeune homme responsable des barques de l'étang en face de chez elle.
"Une demi-heure avec Kim, durant laquelle elle avait fait à peine plus qu'effleurer son genou, avait apparemment accompli quelque chose que trois ans avec Peter n'avait jamais atteint. Kim avait ramené à la vie une part d'elle-même, enfouie sous son ego. Du moins, c'est ainsi qu'elle le ressentait. Le plus difficile à présent était de garder en vie cette petite lueur dansante".
Mais, même si Thomas sent bien que l'inconstance de Lucy est incompatible avec sa vision de l'amour, il ne peut refouler ses sentiments.
"J'étais amoureux d'elle et je croyais que je le serais toujours. (..) Pour moi, en tout cas, elle était le centre du Monde, le lieu où tout était riche de promesses, désirable et bon".Alors, pour se changer les idées, il décide de raconter ce qu'il sait d'Harry et de confier au lecteur les quelques confidences que l'homme vieillissant a pu lui faire. Son passé tumultueux va le rejoindre mêlé à des soucis de santé. Deux femmes vont désormais partager sa vie, lui le vieux célibataire endurci qui garde un souvenir ému de son histoire d'amour avec Marilyn...
Thomas apparaît très vite comme le confident idéal de ces personnages qui se trouvent à un carrefour important de leur vie. Tous sont confrontés de près ou de loin au deuil, et comptent sur le jeune homme pour les guider vers une nouvelle vie. Or, nous ne sommes pas au théâtre. Une fois le rideau tiré, pas de deus ex machina, chacun rentre avec ses problèmes, ses regrets, ses désirs enfouis. Thomas est le pont entre la vie jouée sur scène et celle vécue. Mais qui pense à lui ?
En 2016, le lecteur français découvrait Craig Higginson, avec Maison de rêves, traduit aussi par Gabrielle Lécrivain. Cette fois-ci l'action ne se déroule pas en Afrique du sud, mais bien en Angleterre, à Stratford-upon-Avon. On retrouve dans ce roman des personnages forts, remplis de secrets pour certains, comme dans le premier roman. Le huis clos étouffant a laissé place à un décor mi-urbain, sans toutefois mettre de côté l'aspect artistique des lieux. Et dans ce contexte, Craig Higginson sait de quoi il parle puisqu'il est lui-même metteur en scène.
L'Eté de la Tempête montre à quel point la frontière peut être ténu parfois entre le théâtre et la vie. Le roman nous parle d'amour : amour filial, amour de jeunesse, amour manqué, amour tout beau tout neuf, mais en variant les points de vue et en prouvant au lecteur que la vie ne peut être vécue comme une pièce de théâtre. Thomas est un narrateur impeccable, touchant parfois du doigt aussi la possibilité d'être heureux grâce à une femme.
Très bien mené, jamais ennuyeux, contenant même des parallèles judicieux avec des références shakespeariennes, ce roman propose un vrai moment de lecture agréable et impose Craig Higginson comme un auteur à suivre de près.