lundi 3 avril 2017

Desert Home, James Anderson

Ed. Belfond, mars 2017, traduit de l'anglais (USA) par Jérôme Schmidt, 336 pages, 20 euros.

La route 117 coupe le désert de l'Utah. Tout au long, il n'y a rien ou presque, car si on arrive à regarder au delà des mirages de chaleur, on aperçoit une petite communauté d'âmes hétéroclite.

"C'est comme ça partout ici. Et les GPS ne fonctionnent pas mieux. Ni les radios. Même les téléphones satellites. Ce désert, c'est le triangle des Bermudes, version sable et rocaille. Ça tient à la roche qui contient du minerai de fer".

Ben sillonne chaque jour depuis vingt ans la 117 à bord de son camion de marchandises. Depuis le temps, il connaît à peu près tous ceux qui vivent aux alentours, et entretient avec eux des relations qui pourraient s'apparenter parfois à de l'amitié. Comme lui, ces gens sont des taiseux avec leur lot de chagrins et de renoncements. Au lieu d'utiliser les services de la poste - pourtant moins chers - ces gens préfèrent avoir affaire à Ben, question de confiance.
Pourtant, Ben sait que sa petite entreprise ne pourra plus traverser la crise encore bien longtemps. Surendetté, ses jours au bord de son camion sont comptés. Pas question pour lui d'en informer ses clients (à quoi bon) , alors, il profite chaque jour de l'instant, comme si c'était la dernière fois.
"Quels qu'aient été leurs problèmes, ce n'étaient pas les miens. Bientôt ce lien ténu disparaîtraient aisément tandis que je sortirais de leur vie. La gravité terrestre est nécessaire ; sans gravité, le monde tourne dans le vide".

Dans l'immense solitude du désert, il est facile de se cacher, si on sait apprivoiser les lieux. Les frères Lacey font partie de ceux qui ont décidés de vivre loin de tout en emménageant en maison deux wagons de train abandonnés La rumeur dit que ce sont deux criminels en cavale, mais pour Ben ce sont avant tout deux gars qu'il prend plaisir de rencontrer, même s'ils sont parfois étranges.
Justement, l'étrange est le maître mot des lieux. Le long de la 117, il est possible de rencontrer John, surnommé le Prêcheur, qui longe la route à pied, en portant une croix énorme, comme Jésus jadis. Quand Ben et lui se rencontrent, ils échangent le rituel de la cigarette et John se raconte. Traîner une croix aussi grande que lui l'éloigne de la tentation, mais surtout lui permet de se repentir de ses pêchés.
"Je suis vieux. Je vis dans un magasin d'outillage abandonné et je traîne une croix le long d'une route du désert. Mais je reste un homme, Ben. Bon et mauvais, a-t-il ajouté en regardant fixement le bitume. Un homme".

Une ligne droite à perte de vue ; le désert à gauche, à droite. Et puis, le dinner de Walt, qui semble s'être figé dans le temps. Il est tout le temps fermé, pourtant, en  jetant un œil à l'intérieur tout semble nickel. Walt y vit encore, mais n'ouvre plus depuis un jour sombre. C'est le "Never Open dinner". Walt est un sauvage, un vieux solitaire qui ne supporte pas la compagnie. Ben  le livre souvent mais les échanges sont brefs.
Quand un changement s'annonce, il fait figure d'événement. Alors, lorsque Ben découvre que la seule maison du lotissement abandonné de Desert Home est occupée par une femme, son imagination s'emballe. Qui est-elle ? Est-elle en cavale ? Se cache-t-elle ?
"J'ai gratté du bout de ma chaussure la surface sablonneuse, très étonné de découvrir en dessous une dalle de béton blanc. (...) En haut se trouvaient deux poteaux en brique, reliés par une voûte en acier. Et sur cette voûte, gravés à même le métal, étaient inscrits ces mots : Desert Home"
Obsédée par cette apparition, il décide de la rencontrer, de percer son secret. Au milieu de la pièce vide, il l'épie en train de jouer du violoncelle sans cordes...
"La femme était assise sur la chaise verte de la véranda. Elle était seule. Cette chaise était le seul meuble de la pièce. (...) Elle était visiblement nue. Ses doigts bougeaient en rythme le long du manche d'un instrument de musique".
Claire, c'est son nom, lui permet d'oublier un temps ses ennuis matériels. Il tombe amoureux même s'il sait qu'elle garde au fond d'elle un lourd secret...

Premier roman de James Anderson, et coup de maître. Le récit, porté par un personnage empathique et foncièrement bon, est cohérent du début jusqu'à la fin. La galerie des personnages secondaires est édifiante d'originalité, et permet la mise en place d'une seconde intrigue qui reprend les codes du polar. L'auteur a choisi de planter  un décor uniforme, aride, et dangereux, pour nous servir une histoire touchante, remplie d'émotions, et humaine.
"Un jour, pendant nos pauses cigarette au bord de la route, le Prêcheur m'avait dit que la plupart des gens associent le désert avec ce qui y manque : l'eau et les gens. Ils ne pensent jamais à la seule chose dont le désert regorge : la lumière. Il y a tant de lumière ici".
Dans Desert Home, les femmes et les hommes sont aux antipodes du lieu dans lequel ils vivent. Même la chaleur n'arrive pas à venir à bout de leur humanité.

Amateur de fulgurances littéraires, ce roman est pour vous
" Le soleil couchant a embrasé le ciel d'une traînée de nuages rougeoyants qui ondoyaient au-dessus des tourbillons de sable. Ainsi propulsés par le vent, les nuages ont parcouru l'espace dominant le plateau, avant de s'écraser sur les falaises et d'exploser comme une déferlante. Le vent fondait sur moi, soulevant le sable sur les kilomètres de désert qui me séparaient des falaises. Mes mains étincelaient dans cette lumière intense qui s'approchait".