lundi 6 mars 2017

A part ça (21) Elle chantait Ramona, Henri Raczymow

Ed. Gallimard, collection  Blanche, février 2017, 144 pages, 14.50 euros.

La littérature inspire. Elle est une passerelle, un fil d'Ariane...


"C'est Etienne qui écoutait la radio. Anna ne l'écoutait pas : elle chantait. Elle chantait, de tout son cœur, Ramona j'ai fait un rêve merveilleux. La radio, c'était elle-même".

Anna et Etienne, les parents de l'auteur. Ils se sont mariés après la guerre avec le souvenir vivace de ceux qu'ils ont perdus. Parler d'eux, c'est une autre affaire, le silence évoquait la douleur et de l'incompréhension de leur disparition.
Le narrateur - l'auteur - a grandi dans le quartier de Belleville à Paris, où l'on entend encore parler yiddish, et où "ce n'était jamais triste, plein de boutiques, de cafés, de cinémas, de poissonneries, de marchands de jouets". Son père y fabriquait des canadiennes, sa mère coiffait en chantant. De temps en temps, Riri comme on surnommait le bambin, ramenait son grand-père ou rendait visite à ses deux autres grands-parents. Les souvenirs et les émotions sont vivaces, mais les regrets de ne pas connaître les secrets familiaux qu'il ne pourra jamais transmettre aussi.

Parfois, les larmes s'imposaient dans l'appartement familial, néanmoins il était rare que Riri en connaisse vraiment les causes.
"Quelles que fussent chez Anna les raisons de ses larmes, de son inquiétude, de son cafard, de sa rancœur, Etienne avait les paroles consolatrices : C'est pas grave, Pépète. Ça ira déjà. Et ça la consolait en effet, qu'on se figure !"
Toute leur jeunesse, ils ont attendu le retour des leurs. "Nés dans l'attente, ces rejetons, car l'attente fut le liquide amniotique où ils grandirent. Mais ils ne remplaçaient rien. Rien ne comblerait jamais ce trou. Il y avait quelqu'un, il n'y avait personne". Et sans le vouloir, Etienne et Anna ont transmis cette angoisse à leur garçon.
Pourtant, la vie à Belleville pouvait être légère. Le narrateur raconte sa mère en train de bavarder avec des connaissances : "ses paroles étaient comme de légers papillons qui volettent autour de vous, auxquels vous ne prêtez que peu d'attention et qui ne se posent proprement nulle part", tandis que son père Etienne refaisait le monde avec des camarades.

Elle chantait Ramona est le récit d'une enfance. L'auteur a voulu coucher ses souvenirs par écrit et ainsi rendre hommage aux siens, Il fait voler en éclat la culture du secret dont il semble avoir souffert intimement. Le lecteur entre dans l'intimité d'une famille évoluant dans le Paris d'après guerre. Le narrateur est le témoin, la mémoire des événements passés.
"J'aime que ma vie soit contenue dans la mémoire d'une autre, une autre vie, une autre mémoire. C'est rassurant, c'est un gage peut-être illusoire, qu'on sera compris. Et puis, du jour où vous ne l'êtes plus, compris, où votre mémoire ne s'insère plus dans aucune autre de vos connaissances, vous voilà du coup en première ligne".
Récit de l'enfance, de l'amour d'un fils pour ses parents, mais aussi texte sur l'absence, les secrets et le poids de l'histoire. Sa lecture est une bulle à ne faire éclater qu'au dernier moment.