Mitsu et son épouse Natsuko partent rejoindre Takashi, le frère de Mitsu qui s'est installé dans la maison familiale au fin fond de la vallée. Ce séjour va vite prendre des proportions insoupçonnées qui seront pour les protagonistes des moments de vérité sur leurs vies respectives.
Pour Mitsu, c'en est trop : son meilleur ami vient de se pendre dans une mise en scène à la fois macabre et burlesque, son épouse Natsuko noie son chagrin d'avoir enfanté un enfant idiot dans le whisky, et lui-même s'en veut énormément de ne pas pouvoir assumer le handicap de son bébé.
"Mais la raison pour laquelle nous avions abandonné le bébé à l'hôpital était précisément la crainte que notre dégoût devant cette chose désespérante ne nous achevât nous-mêmes. Notre acte était impossible à défendre. Si jamais le bébé, une fois mort, revenait comme un spectre décharné nous dévorer, je savais que, moi du moins, je ne prendrais pas la fuite".
Afin de pouvoir réfléchir posément à tout cela, il décide de rendre visite à son frère Takashi qui est revenu au pays après un long séjour aux Etats-Unis. Taka s'est installé dans la demeure familiale, au fond de la vallée, là où leur famille a vécu depuis plusieurs générations. Ce qu'il n'a pas osé avouer à Mitsu, c'est qu'il a vendu le domaine à son insu à un promoteur commercial "l'empereur du supermarché" qui compte détruire les lieux pour y construire des magasins. Taka est un adepte de la "nouvelle vie" qui, si on s'y penche de plus près, pourrait ressembler à une secte, et lui à un gourou local.
"Ma vie nouvelle dans la vallée n'était qu'un prétexte pour permettre à Takashi de contourner mon refus devant son projet de vendre le pavillon et le terrain, au profit de ses insaisissables passions. Pour moi, dès le début de ce voyage, la vallée était privée d'existence".
A cause des intempéries, le couple est coincé dans la maison et va devoir cohabiter avec la population locale. Dans le même temps, alors qu'elle boit de moins en moins, Natsuko s'éloigne de Mitsu pour se rapprocher de son beau-frère. Mitsu tente de raisonner Taka qui exerce sur son entourage une bien étrange influence : il appelle à la rébellion tout en cherchant le moyen de se faire punir par ceux-là même qui le vénèrent. A force de discussions, Mitsu apprend la vérité, elle est indicible.
Mais ce Jeu du siècle ne saurait être complet si, par des allers-retours réguliers dans le passé, on n'apprenait pas que, le même endroit, un siècle plus tôt, a été en proie à des révoltes paysannes. A croire que le lieu est enchanté ; c'est une terre qui ne laissent pas les âmes au repos. Dès lors, le lecteur se pose la question de l'origine de la révolte de Taka : est-elle consciente ou le fruit de forces qui le dépassent ? Quant à Mitsu, est-il l'incarnation de la bonne conscience, du retour à la réalité ? En tout cas, il lutte pour n'être plus qu'un invité dans ces lieux où il a grandi :
"Je suis un autre qui n'a rien à voir avec la vallée", se répète-t-il à soi-même, telle une incantation.
Le Jeu du siècle cache bien son jeu. Sous couvert d'une intrigue familiale plombée par les disparitions anticipées des membres de la famille, c'est l'histoire de toute une vallée qui apparaît. En filigrane, l'accès à la société de consommation et à une certaine forme d'oisiveté auprès d'une population habituée à vivre chichement, provoque quelques remous.
Takashi provoque dans l'espoir de recevoir le coup de bâton qui mettra fin à ses actes. C'est un être qui ne s'aime pas mais qui désire se confesser avant de disparaître.
"Plus que de me perdre dans cette vision de mon frère lugubre et ensanglanté sur un champ de bataille, il m'était facile de sombrer dans un sommeil creusé dans un monde imaginaire".Enfin, pour construire le couple Natsuko-Mitsu, l'auteur a pris des répères autobiographiques - lui même est père d'un enfant handicapé - ce qui nous vaut des pages sublimes sur le rapport entre un père et son enfant et la peur du handicap.
Le Jeu du siècle est un roman fleuve, intense, aux multiples symboles, sur la complexité des relations familiales.
"Si le yin s'affaiblit, le yang s'active : et si le yang s'affaiblit, c'est le yin qui se manifeste : le monde suit un cycle et rien ne s'en va sans ce retour. L'homme est le maître de toutes choses. Lorsque la politique n'est pas bonne et que le peuple souffre, pourquoi l'homme ne produirait-il pas un changement ?"