Ecrit en 1922, mis à l'honneur par la romancière Laura Kasischke, ce roman raconte le sacrifice d'un jeune homme, empêché de vivre, englué par le devoir moral.
Ethan Frome s'est marié à vingt ans avec une cousine éloignée, légèrement plus âgée, car elle avait eu le mérite de l'aider quand il avait fallu l'assister auprès de sa mère malade.
Huit ans ont passé, et Ethan a en partie renoncé à ses rêves. Le manque d'argent, le temps, et surtout une épouse devenue acariâtre et hypocondriaque, ont eu raison de ses désirs de voyages et de bonheur. Désormais, lorsque la ferme et la scierie qu'il possède lui permet d'avoir un peu de sous devant lui, cet argent est dépensé dans les tentatives vaines et réitérées de Zeena, son épouse, à trouver des remèdes miracles auprès des médecins du comté.
La vie d'Ethan ressemble au climat du Massachussets : dur, froid, rigoureux et isolant. C'est un homme seul, jeune, courageux, englué dans une vie triste.
Et puis, Mattie est arrivée. C'est une cousine de Zeena venue comme aide à toute faire à la ferme. Elle a la fraîcheur de la jeunesse, le rire facile, et respire la santé. Ethan tombe vite amoureux. Elle est le rayon de soleil qu'Ethan attend depuis des années, la possibilité d'une autre vie.
"La jeune fille était davantage que la créature extrêmement serviable qu'il avait discernée en elle. Elle ouvrait grand ses yeux et ses oreilles : il pouvait tout lui montrer, tout lui expliquer, et savourer le bonheur de voir toutes les connaissances qu'il lui transmettait laisser en elle des répercussions et des échos durables qu'il pouvait ressusciter à volonté".
Or, le jeune homme est frustre, il ne sait pas exprimer ce qu'il ressent. Et puis Zeena sent le danger, veut se séparer de Mattie après un dernier voyage de trois jours auprès d'un nouveau médecin.
"Ethan la regarda avec répugnance. Elle n'était plus la créature apathique qui avait vécu à ses côtés, morose, uniquement absorbée par ses problèmes, mais une présence mystérieuse, étrange, un esprit d'une force maléfique secrété au fil de ces années de rumination silencieuse. Et c'était le sentiment de sa propre faiblesse, qui aiguisait sa détestation".
Trois jours seul sans son épouse acariâtre, à pouvoir jouer au couple "possible" avec Mattie, à croire à un autre quotidien. Car, la jeune fille, elle aussi, semble avoir des sentiments pour Ethan...
"Il était trop jeune, trop fort, trop empli d'énergie vitale pour accepter si facilement la destruction de ses espérances. Devait-il se consumer pendant des années près d'une femme aigrie et plaintive ? D'autres possibilités s'étaient offertes à lui, des possibilités qu'il avaient sacrifiées, les unes après les autres, à l'étroitesse d'esprit et d'ignorance de Zeena".
Edith Wharton aime que le lecteur lise entre ses lignes, imagine ce qui se passe après les points de suspension. Au début du vingtième siècle, on ne parle pas de sexualité, ou alors en filigrane, tout en retenue. Le baiser fougueux est l'ultime dévoilement du sentiment amoureux.
Au delà, de l'histoire d'Ethan Frome, on trouve une justesse d'écriture dans la description du renoncement, du regret, de la responsabilité qu'on peut ressentir auprès des gens. Edith Wharton raconte le devoir moral dans toute sa splendeur, celui qui empêche le pas de côté, celui qui nous retient et nous fait rester dans "le droit chemin" , et nous fait vieillir prématurément :
"Cet homme centenaire ? Il a déjà l'air d'être mort et jeté en enfer !"