mardi 25 octobre 2016

Débarrassés du bonheur, Sylvie Aymard

Ed. Grasset et Fasquelle, octobre 2016, 200 pages, 16 euros.

Vivre vite !



Fille unique couvée et choyée, Servanne grandit tranquillement entre ses parents, Marina et Paolo, et l'ami de la famille, Mundi. Quand Marina et Paolo périssent lors d'un naufrage au Vietnam, c'est tout naturellement que Paolo décide de devenir le tuteur de la jeune fille.
"Son statut d'oncle improvisé convenait à tous, il devint indispensable, un membre de la famille. Il était parfait".
Servanne a alors dix-huit ans, et la disparition des siens la choque au point qu'elle décide de renier sa vie d'avant bien confortable. Elle arrête ses études, vit de petits boulots précaires, et déménage souvent sans crier gare.
" Changer souvent d'endroit lui permettait de croire qu'on l'attendait quelque part, qu'on l'espérait peut-être. Servanne se sentait toujours en déséquilibre, inachevée, sans arriver à rencontrer la terre ferme à l'age adulte. Un état qui s'éternisait et devenait un destin par défaut".

Mundi la surveille de loin en loin. De son côté, l'amitié a fait place à de l'amour. Servanne a accueilli ce nouveau sentiment avec l'impudeur de son âge, mais l'a fui lorsqu'elle s'est rendue compte qu'il devenait pérenne.
"Mais avant Servanne il n'y avait rien. La jeune fille était pour lui aussi extraordinaire qu'imprévue. Une candeur dans la souffrance". (...) La douleur de la privation s'atténuait, il espéra se débarrasser du bonheur, redevenir un homme normal, léger et triste".

Depuis, Mundi attend, certain que leur histoire n'est pas terminée.
"Il l'appelait ma disparition, un terme d'un autre temps qu'elle trouvait ridicule. Il lui répétait à chaque fois :
- Je ne sais plus si je t'aime, mais si je n'avais plus de nouvelles de toi, je te chercherais et te retrouverais.
- Je pars d'où je suis !
- Encore ! A force de bouger tu n'as pas le temps de vivre ! "

A  L. Servanne fait une pause. Elle y trouve un emploi stable, se lie d'amitié avec quelques jeunes villageois, apprivoise la solitude dès qu'elle ferme la porte de sa chambre. Lors d'une enquête de recensement, elle croise Sandro, homme discret et solitaire, qui vit dans une ferme isolée. Cet homme l'intrigue, puis l'obsède. Qui est-il ? Pourquoi refuse-t-il de dialoguer ?
" L'étranger l'intriguait, elle semblait le connaître. Il ne donnait et ne demandait rien. Lorsqu'il entrait au café, il lançait son grand corps en avant, plus brutal qu'un pavé".

Sylvie Aymard raconte une jeune femme pressée de vivre, qui refuse toute attache, et qui veut tout, tout de suite. Elle désire être le contraire d'une Eugénie Grandet à la vie morne remplie par des habitudes. "Se cavaler à tout prix, partir avec un besoin urgent de vivre, écouter la clameur aiguë et lumineuse du monde, abandonner ses fantômes qu'elle avait coutume de perdre et de retrouver."
Le chapitrage est à l'image de l'héroïne : court, rapide, impétueux, alors que la prose se veut plus lente. L'auteure prend le temps de raconter, de revenir en arrière, de se poser pour établir le portrait d'un des trois personnages. A l'horizon, se profile un triangle amoureux au centre duquel se trouve une Servanne insaisissable qui demande à être aimer mais refuse l'attachement. La vie doit être une aventure constante ; le bonheur n'est qu'une affaire futile qu'il est trop difficile à obtenir pour qu'on s'y attarde. D'où ces mots de Jules Renard en exergue : "Je suis un homme heureux, car j'ai renoncé au bonheur".