Se libérer
Dans un train rempli d'enfants, le narrateur et son frère sont en route pour le Home. La peur les étreint, les empêche de raisonner. On pourrait croire que le transport les emmène vers l'antichambre des Enfers, comme autrefois les wagons à bestiaux amenaient les juifs en camps. Un détail pourtant nous surprend : ce sont leurs parents qui les ont accompagnés sur le quai de la gare, et ce rituel recommence à chaque vacances..
En fait le Home est une maison de vacances, "un havre chic pour familles aisées" .
"Le home d'enfants était loin de tout. Comme notre wagon. Un état dans l'état. Un non lieu hors les lois du monde. Fort de notre autorisation de sortie de territoire, l'homme nous maintenait désormais dans des territoires dont il maîtrisait les contours".
Dirigé par un couple, les garçons et les filles sont séparés. Tandis que l'homme semble être bienveillant, son épouse est une directrice très sévère, qui ne souffre aucun manquement au règlement. Pourtant, ce n'est pas ce dernier qui angoisse le petit narrateur ; selon lui, l'homme et la femme sont des Thénardiers des temps modernes.
"Les Thénardiers ne ressemblent jamais aux Thénardiers. L'araignée commence par tisser sa toile".
L'homme aime faire peur aux plus petits, surtout le soir, comme cela il peut les cajoler... à sa façon.
Le fait est que nous avions peur. Intensément peur. Cette intensité répondait à la sienne. Et il en jouait, redessinant à dessein les frontières d'un pays supposé inviolable qui s'appelle l'enfance".
Jamais le mot viol est exprimé, le mot attouchement non plus. Mais, le récit, très pudique, explique à mots couverts l'indicible. Le narrateur a pour seuls amis le silence et ses secrets. A chaque vacances, le scénario se répète, mais le petit garçon grandit, et quand sa petite sœur rejoint à son tour le Home, il développe des stratégies pour la protéger.
Comment affronter l'âge adulte ? Comment accepter un statut de victime sans que le bourreau ne soit inquiété ? Des années de thérapie n'ont pas complètement effacé la colère et la rancœur. Une enquête avait bien été ouverte, mais trop tard. Tout le monde savait ; l'épouse fermait les yeux, et la maman du petit garçon a pris le parti des silences hurlants de son fils.
"J'étais devenu sans m'en apercevoir celui qui ne dit plus jamais non à rien. A la fois acteur principal d'un film de figurants et spectateur de ma propre impuissance, je charriais des flots de violence contre moi".
Maintenant bien installé dans sa vie, le narrateur est prêt à affronter le passé, seule solution pour reconstituer le puzzle de sa vie en miettes. Pour cela, il doit rencontrer l'ancienne directrice du Home.
"Affronter son passé pour comprendre son présent et espérer éclaircir son avenir", lui conseillait sa psy.
Oscar Lalo a fait le choix de chapitres très courts, de phrases courtes aussi, empêchant ainsi le lecteur à reprendre son souffle. Dès lors, on plonge en apnée dans le texte, et on n'en ressort pas indemne. Les souvenirs explosent, les points qui pourraient être des points de suspension laissent le soin au lecteur d'imaginer la suite.
L'ensemble est vraiment maîtrisé. Le texte, divisé en trois parties, est à fleur de peau. Il exprime une douleur enfantine qui se mue en une difficulté de vivre.
Les Contes défaits est une antithès du conte de fées de notre enfance. "Il était zéro fois"... ainsi commence le récit. Ce sont les mots qui donnent de la consistance à un homme qui se sent transparent, emprisonné dans son vécu et ses souvenirs. Les silences, à travers les mots, crient enfin.
Le texte s'avère être une libération, l' affranchissement d'un passé trop douloureux.