lundi 6 juin 2016

Les Petites consolations, Eddie Joyce

Ed. Rivages, mai 2016, traduit de l'anglais (USA) par Madeleine Nazalik, 480 pages, 22.50 euros.

"Ferme les yeux, tu arriveras bien à les voir"



Quand une famille est frappée de plein fouet par le malheur, que lui reste-t-il pour ne pas sombrer, pour continuer à avancer coûte que coûte, bref comment reprendre goût à la vie tout simplement ?
Les Amendola sont en mode survie depuis la disparition du petit dernier, Bobby, lors des attentats du 11 septembre 2001. Il a laissé derrière lui une épouse, Tina, et deux enfants dont un qu'il n'a jamais eu la chance de connaître. Depuis sa disparition, toute la famille vit dans l'ombre de cette perte. Dix ans après, chacun a construit ses petites consolations pour vivre avec. Gail, la mère, commence ses journées par un petit pèlerinage dans la chambre de Bobby ; Michaël, le père, ne veut pas changer ses habitudes : paris sportifs, bars, alcool ; les frères Peter et Franckie se lâchent à leur façon : l'un trompe son épouse avec une jeune collègue, tandis que l'autre ruine sa santé avec des psychotropes. Du côté de Tina, c'est beaucoup plus complexe. Cela fait une décennie qu'elle a mis sa vie amoureuse de côté. Elle a rencontré Wade, un jeune veuf, et pense qu'ils peuvent faire un bout de chemin ensemble. Seulement, elle ne pourra s'investir dans cette relation que si elle obtient le consentement des parents de Bobby... Sortir avec un autre homme n'est pas une mince affaire :
"Malgré le fait qu'elle en a tout a fait le droit, qu'elle le mérite - malgré tout, elle se sent toujours coupable, elle a toujours l'impression de trahir Bobby".

On se chamaille, on cherche à blesser l'autre, mais on s'aime malgré tout chez les Amendola. Par un subtil enchevêtrement des chapitres passé-présent, Eddie Joyce raconte cette famille italo-américaine qui s'est construite à Staten Island, le centre du monde pour eux. Peu à peu, on comprend mieux les réactions de chacun, leurs réactions face au deuil et à la perte. Chaque membre vit sa douleur à sa façon :
"La douleur présente plusieurs dimensions, une certaine densité. Plusieurs visages, plusieurs facettes. Elle nous heurte chaque jour sous un angle différent. Elle mérite notre respect, à bien des égards. On doit porter le deuil de tout : des défauts comme des qualités, des mauvais moments comme des bons. Il faut retourner le moindre caillou et accueillir à bras ouverts les souffrances qui s'y tapissent".

Le temps polit la tristesse, mais les souvenirs restent. Étrangement, c'est le défunt qui mène la danse, qui provoque chez les siens des réactions inconnues jusque là. Les Petites consolations sont ces actes, parfois irréfléchis ou insensés, qui font que les survivants se sentent renaître à la vie.
Les phrases sont longues, ponctuées de réflexions de l'auteur, mais racontent avec énergie l'histoire de cette famille meurtrie qui refuse de s'effondrer.