Regards croisés
Un livre, deux lectures. En collaboration avec Christine Bini
"Les aliments sont faits d'amour. Manger, c'est aimer. Aimer, c'est manger. Et si un gros morceau de pain peut apaiser les pleurs d'un enfant, en quoi est-ce un problème ?"
Tel était le rapport à la nourriture pour la maman d'Edie. Seulement voilà, éduquée de cette façon, Edie pèse désormais plus de 150 kilos. Son cœur s'affaiblit, son diabète est difficilement gérable, et ses deux enfants adultes, Robin et Berny se font un sang d'encre.
L'obésité fait peur, mais chez les Middlestein, on a toujours vécu avec. D'ailleurs, les chapitres du roman égrènent la courbe de poids d'Edie. Sauf qu'au pire moment, Richard Middlestein, le mari, décide de prendre la fuite. Ce départ, à un moment où son épouse doit se faire opérer, est très mal perçu. Lui y voit un acte de survie plutôt que de lâcheté, car vivre au quotidien avec Edie devenait un véritable parcours du combattant...
"Edie était couchée à présent. Son esprit tournait à plein régime, comme toujours. Son corps, lui, se déplaçait de plus en plus lentement, si lentement qu'elle avait parfois l'impression de ne plus se mouvoir du tout."
Alors qu'elle sombre dans l'invalidité, Richard papillonne, en quête d'une nouvelle compagne. Robin, leur fille, révoltée depuis toujours, suit l'affaire de loin, quant à Berny, c'est son épouse Rachelle qui a décidé de prendre les choses en main en voulant gérer la santé de sa belle-mère, tout en imposant à sa famille un régime bio. Bref, chez les Middlestein, la nourriture n'est plus un plaisir, et personne ne va très bien...
Pourquoi Edie est-elle devenue ainsi? L'éducation n'explique pas tout; en plus, elle a connu une période, durant ses études d'avocate, où elle flirtait avec la maigreur. Chacun y va de son opinion, sans vraiment comprendre les motivations qui ont pu pousser une femme à atteindre l'obésité morbide. Rien n'y fait, même malade, Edie rêve encore de paquets de chips ou de biscuits au chocolat noir:
"Ils ne dégageaient aucune odeur. On aurait dit un courant d'air, et c'est ce qu'elle ressentait quand elle les mangeait : ils la traversaient comme une brise légère sans jamais remplir son estomac."
En fait, Edie comble, en mangeant, le manque de communication notoire au sein de sa famille. "La nourriture offrait la meilleure cachette qui soit". Les contraintes, les compromis du couple, les disputes régulières avec Richard, ont eu raison de sa volonté. Se laisser aller, voilà la seule solution trouvée pour montrer à tous qu'elle souffre.
La famille Middlestein est un roman anti-individualiste. L'auteur raconte une famille dans son ensemble. Ils forment un tout, et ne sont que l'ombre d'eux-mêmes lorsqu'ils sont séparés, même s'ils ne veulent pas le reconnaître. Les Middlestein sont gentiment cinglés et, à force, fonctionnent avec des valeurs décalées pour le commun des lecteurs!
Jami Attenberg, en filigrane, prétend que le couple est un cauchemar : Edie-Richard, puis Berny-Rachelle sont des exemples à ne pas suivre car l'un aliène l'autre. Et si Robin mettait un terme à ce modèle en formant un couple heureux avec Daniel?
Ce roman est une plongée dans les relations névrotiques mais souvent souriantes d'une famille américaine type dont la mère est gangrénée par des problèmes d'obésité. Sous couvert d'une narration et d'un ton légers, Jami Attenberg fait honneur aux victimes co-latérales de la maladie d'Edie.Le mari, les enfants et petits enfants souffrent et s'emploient à vouloir la soigner, alors que cette dernière s'est résignée depuis longtemps à accepter sa maladie.
Lire l'article de Christine Bini sur son blog La lectrice à l’œuvre.