Une vie de mensonge.
L'histoire de Schroder, selon lui-même, est aussi simple à comprendre qu'une comptine pour enfants:
"Le chagrin est un manège.
La culpabilité est un manège.
La vie est un manège.
Non - L'Humanité est un manège.
Non, non. C'est la mémoire.
La mémoire est un manège."
Quand Laura quitte le domicile conjugal avec leur petite fille Meadow, la vie de Schroder bascule. Pourtant, depuis le plus jeune âge il a su s'adapter à toutes les situations. Lui, qui a fui la RDA avec son père, s'est reconstruit un peu par hasard un nouveau passé, fait de bling bling et d'argent, alors qu'il vient d'un milieu on ne peut plus modeste. Épouser Laura s'était tout d'abord s'affranchir de son "pieux" mensonge et se prouver que ce dernier était viable et cohérent. A force, il a même commencé à y croire.
"C'était donc la seule raison pour laquelle il persistait dans son imposture compliquée et, pour finir, désastreuse, de fausse identité: il s'y était fermement et sentimentalement engagée."
La vie américaine type telle qu'il l'avait espérée s'était soudain concrétisée, sauf que cette dernière était un véritable château de cartes.
Désormais, Schroder doit faire avec les droits de garde, les mesures judiciaires, et son boulot dans l'immobilier qui ne tient qu'à un fil. Il souffre de ne pas voir suffisamment Meadow, alors, un week end, il "oublie" de rendre sa fille...
Dès lors, cet homme à la personnalité complexe, empêtré dans ses propres mensonges, doit aussi affronter son geste. Le week end de garde se transforme en fuite à deux. Il est tiraillé par son désir de rester seul, infiniment persuadé que tout cela aura une fin violente, et la volonté ferme de pouvoir encore profiter de la présence de la petite :
"Soudain je voulais lui échapper, ou plutôt, me libérer de l'amour que j'avais pour elle. J'avais oublié le tourbillon qui vous emporte quand on aime un enfant. Je voulais plus que tout être avec ma fille, et pourtant je voulais aussi être libre de ce désir."
Leur road movie de six jours est l'occasion d'un retour aux sources personnel. Quelques rencontres impromptues vont célaircir la personnalité de Schroder, et mettre en lumière la vérité sur son comportement et son mariage raté. Il va enfin comprendre la gravité de ses actes et tenter de s'amender:
"Et la douleur. Même la douleur. Elle ne sert à rien si elle est anonyme, monolithique, génocidaire. La douleur de ma vie inventée était une douleur de petit garçon. Ce qui la rendait meilleur, parce qu'elle était supportable."
Or, aujourd'hui, sa douleur est celle d'un homme adulte...
Schroder est le témoignage poignant et sans ambages d'un homme qui s'est toujours menti à lui-même et aux gens qu'il aimait. Son ultime mensonge à sa fille, en lui faisant croire des vacances ensemble pendant une semaine, auront raison de cette attitude sans issue.
Construit comme un polar, Amity Gaige a mis l'acent sur les faiblesses d'un homme acculé et incapable dans un premier temps de comprendre qu'il est la source principale des problèmes qu'il supporte. Peu à peu la personnalité s'effrite, la coquille se fendille, et le véritable Schroder apparaît. Mais c'est l'adolescent qu'il a décidé de ne plus être un jour qui réapparaît.
Cependant, on peut se demander si cet aveu n'est pas une ultime tentative de mensonge pour parvenir à ses fins. C'est là que le récit prend toute son ampleur, dans cette ultime question. Schroder est un roman sur l'invention de soi et la mythomanie, alors la vérité y a-t-elle vraiment sa place?
Belle surprise littéraire, bien construite, cette histoire mérite qu'on s'y attarde.
Bonne lecture!