Regards croisés
Un livre, deux lectures. En collaboration avec Christine Bini
Boucle temporelle.
Vienne, 1897. Un homme marche sur le Ring. Il pourrait être un passant comme les autres, admiratif de l'incroyable architecture de la ville, sauf que son accoutrement et sa coupe de cheveux détonne. Franck Standish Burden III, c'est son nom, est pour le moins dérouté. Alors qu'il rentrait chez lui, à San Francisco, en 1988, il s'est retrouvé sans savoir comment, à déambuler dans la capitale autrichienne à la fin du 19ème siècle.
Celui que tout le monde surnomme Wheeler Burden, connu pour être une gloire du rock, a pourtant eu un passé culturel richissime. Des études dans les meilleurs établissements de l'Est des Etats-Unis en général, et l'enseignement de Arnauld Esterhazy dit Haze en particulier, lui ont valu une solide base culturelle, notamment concernant Vienne. Alors se retrouver dans les rues d'un lieu qu'il a tant arpenté dans son imagination le comble de joie.
Au fur et à mesure, Wheeler prend ses marques, côtoie un cercle d'intellectuels en devenir, dont son futur prof fait partie, rencontre une certaine Emilie James alias Weezie, américaine comme lui, musicienne et amoureuse de la musique de Mahler. Ces deux là sont fusionnels et tombent rapidement dans les bras l'un de l'autre.
Tout pourrait bien se passer dans cette nouvelle vie offerte, sauf que, dès le départ, sa présence a Vienne n'est pas rationnelle. Il est en proie à une remontée dans le temps, un phénomène inexplicable. Il a beau s'en ouvrir à un thérapeute en devenir, un certain Sigmund Freud, ce dernier y voit un cas magistral d'hystérie complexe.
Si Wheeler remonte dans le temps, il risque de rencontrer des personnages clés qui auront eu une influence sur sa future existence. Ainsi, il rencontre son propre père, Dilly Burden, surnommé Rouge Gorge, espion lors de la seconde guerre mondial, mort en 1944, torturé par la Gestapo. Ce dernier revient lui aussi du futur... Le duo se forme et en commun, décide de peut être influer sur le cours de l'histoire en s'intéressant de près à "l'enfant de Lambach", un gamin de dix ans qui, dans les années 30, incarnera le mal absolu en Europe...
L'incroyable histoire de Wheeler Burden est, comme le titre l'indique, un récit incroyable, si bien qu'il est difficile de résumer son intrigue, tant les épisodes s'enchevêtrent et les personnages mêmes secondaires ont leur importance.
Admirablement construit, le lecteur plonge dans la Vienne de 1897: "la splendeur avant la chute. C'est une fausse impression de bien être," avec le rejet progressif des juifs, la très grande richesse artistique, les conséquences intimes du drame de Mayerling. Et dans ce climat, se met en place ce que sera la dynastie Burden et les réponses aux questions que Wheeler s'est posé toute sa vie sur l'origine de la fortune de sa grand-mère et les secrets jamais avoués.
Certes, parfois, on a l'impression de tourner en rond, mais rien n'est écrit au hasard, bien au contraire.
La Vienne décrite est surtout celle que Dilly et Wheeler ont imaginé, confrontés tous les deux très tôt à "inventer des catégories nouvelles". Le fils découvre le père:
"Il comprit alors la vraie grandeur de cet homme qui avait été érigé toute sa vie en demi-dieu, de ce père que lui-même n'avait jamais connu autrement que par sa légende."
Selden Edwards offre donc un roman brillant, que la traduction d'Hubert Tézenas ne manque pas de mettre en valeur, à la fois roman historique, fantastique et sentimental, qui finalement, du début à la fin, pose la question d'une réécriture possible de l'Histoire.
Coup de cœur.
Lire ici l'article de Christine Bini sur le roman: http://christinebini.blogspot.fr/2015/06/regards-croises-17-lincroyable-histoire.html
Lire ici l'article de Christine Bini sur le roman: http://christinebini.blogspot.fr/2015/06/regards-croises-17-lincroyable-histoire.html