Les héros de l'ombre
Après avoir raconté les silences et les hypocrisies familiales dans La faute de goût (Actes Sud, 2011), Caroline Lunoir propose, avec ce texte, "la chronique d'une exécution, de celles que le combat impose et que la victoire fait" comme le souligne la présentation du roman.
L'action se situe aux alentours du village de Charmeuil, durant le dernier hiver de la seconde guerre mondiale, au sein d'un groupe de résistants. Ces hommes, qui n'ont rien en commun que celui de la terreur et de l'amour de la patrie, décident d'entreprendre une action hautement symbolique le jour de l'armistice de la Grande Guerre: déposer une gerbe sur le monument aux morts du village occupé par l'ennemi.
Persuader qu'"il faut penser en héros pour pouvoir se comporter en humain", leur chef, le capitaine Sonnal, impose rigueur et discipline au sein de "ces hommes si jeunes, en uniformes d'opérette, munis d'armes dérisoires, qui espèrent affronter l'armée la plus entraînée de leur temps." Il y a Vercot, le compagnon d'arme de Sonnal, Graal le médecin qui ne veut pas tuer, Jobic le marin, le Père Saulière, Bourgueil l'agriculteur, Michel et son ennemi Hopper, le fils de l'inspecteur des impôts.
"Vous allez vous demander d'où ils viennent et ce qui les réunis. Le hasard est sans doute l'explication la plus sincère, la plus juste quoi qu'ils en diront après."
Ces résistants se cachent dans la forêt avoisinante, protégés par les villageois, et tenus informés par un agent de liaison, Colette, une jeune femme au caractère bien trempé, qui accepte mal le fait que la Résistance soit une affaire d'hommes.
Au temps pour nous présente une narration au rythme assez balzacien finalement: une scène d'exposition très longue, un événement crucial qui intervient au milieu du roman, et une situation finale très rapide. Le paysage hivernal ajoute au caractère figé des événements:
"La neige qui tourbillonne toujours s'acharne à vouloir rendre le monde plus beau sans comprendre que les pas d'un groupe d'hommes la tournent en boue, et que leurs idéaux en fait un linceul."
On sent que Caroline Lunoir a cherché ses mots afin de trouver le terme exact, celui au plus près de ce qu'elle a voulu décrire. Alors, parfois, on sent un style un peu ampoulé, assez décalé avec les faits expliqués. Les personnages parlent comme un livre, surtout lorsqu'il s'agit de se poser des questions existentielles sur la valeur de la trahison:
"Hopper a trahi? Hopper est coupable? De quoi? D'avoir causé la mort d'un homme? Mais nous demain, si nous gagnons la guerre en tuant, nous serons des héros. Et si l'ennemi la gagne, pour les mêmes morts qui valent aujourd'hui sa condamnation, Hopper sera un martyr et un héros."
Car, en plus des représailles allemandes après le dépôt de gerbe le 11 novembre, le groupe de Sonnal doit faire face à une crise interne mettant en cause la trahison probable d'un des leurs, réveillant le spectre de la peur de l'autre:
"Elle est là, leur terreur, celle qui les tiens éveillés, celle qui hante tous leurs rapports les uns aux autres, distille le soupçon et fausse la camaraderie. L'ombre de la trahison les étreint d'une angoisse pernicieuse."
Dès lors, dans un contexte très manichéen et peut-être volontairement simplifié, les personnages se posent des questions sur la valeur du bien, du mal, de la victoire, en temps de guerre:
"Mais que voulez-vous? Personne ne veut connaître le vrai visage de la victoire. Le bien et le mal sont déterminés à jamais, et c'est suffisant. C'est rassurant."
Finalement, Colette, l'agent de liaison, est peut-être l'héroïne de ce roman. La fougue de sa jeunesse, ses valeurs, font qu'elle brave le danger au nom d'une cause dont elle croit sans trop se poser de questions. Elle file entre les doigts des allemands, des villageois collabos, ou de l'amie qui a décidé de copiner avec l'ennemi.
Ce second roman de Caroline Lunoir est sans conteste plus maîtrisé, plus abouti. la tension est palpable dans ce groupe aux passés différents, aux rivalités anciennes, mais unis pour une cause commune.
Les chapitres sont volontairement courts et apportent à chaque fois son lot de questionnement sur la valeur des actes en temps de guerre.
Enfin, on regrettera sans doute le dernier tiers du livre beaucoup trop rapide et brutal dans son rythme par rapport au reste de l'histoire.
Au temps pour nous reste un roman intéressant, qui pose une question au lecteur: et nous qui aurions-nous été en ce temps là?
A découvrir.