Sur les traces d'un fantôme...
Lorsque dans le milieu littéraire on entend le patronyme de
Sorel, on pense aussitôt au héros de Stendhal dans Le Rouge et le Noir.
En effet, très peu de monde pourrait faire le rapprochement avec l'écrivain
Antoine Sorel, qu'un journaliste, de passage au Havre, découvre au hasard d'une
lecture. En effet, son récit Naufrages l'a tellement marqué qu'il se
demande par quel hasard un auteur si profond ait pu rester anonyme. Dans le
même temps, il apprend qu'Antoine Sorel a mis fin à ses jours en se
défenestrant.
Afin de rendre hommage à celui qui, d'après lui, était « un
chercheur d'absolu », et exprimait dans ses livres sa révolte, sa
folie et sa vision du monde, le narrateur décide de partir sur ses traces et le
réhabiliter à sa façon.
Sorel a toujours vécu au Havre. Publié par de petites maisons
d'édition, son écriture était souvent qualifiée d'ésotérique, réservée à des
initiés, bref un brin élitiste. On comprend tout de suite que l'homme n'était
pas en accord avec son temps, mais plutôt dans la verve du poète maudit,
incompris et rejeté par la Société, « un écrivain qui était d'une
espèce en voie d'extinction, un écrivain dans la lignée des moralistes du XVII
ème siècle, un écrivain qui n'était nullement un ennemi du genre humain, mais
excellait à nous mettre dans la position inconfortable du rêveur éveillé,
inapte à jouer le jeu. »
Dès le lycée un ami l'avait surnommé « le chevalier à
la triste figure » comme le héros de Cervantès. En fait, Sorel, qui
s'appelait encore Antoine Tran cachait déjà un mal être profondément enfoui,
incrusté par un père tyrannique, d'origine asiatique, mais qui rejetait en bloc
sa famille vietnamienne, et désirait pour ses fils argent facilement gagné et
mariages bourgeois.
C'est en rencontrant ceux qui ont côtoyés l'écrivain défunt que notre journaliste met au jour un profil méconnu. Considéré par ses parents comme le fils raté ou « un traîne misère », ses deux frères pourtant le soutenaient et l'aidaient à garder la tête hors de l'eau. Cependant, le monde insolite de Sorel se révèle à travers les rencontres faites avec les femmes qui ont partagées sa vie. Amant exclusif, époux pitoyable, il rejetait en bloc le concept même de devenir père, et noyait le peu qu'il avait dans les bars à traîner avec des inconnus. Et pourtant, Isabelle, Judith, Vicky, Annie, toutes le décrivent comme un homme en quête d'absolu, solitaire, dont l'acte d'écrire le rendait mutique, et sa vision personnelle de la société, invivable.
C'est en rencontrant ceux qui ont côtoyés l'écrivain défunt que notre journaliste met au jour un profil méconnu. Considéré par ses parents comme le fils raté ou « un traîne misère », ses deux frères pourtant le soutenaient et l'aidaient à garder la tête hors de l'eau. Cependant, le monde insolite de Sorel se révèle à travers les rencontres faites avec les femmes qui ont partagées sa vie. Amant exclusif, époux pitoyable, il rejetait en bloc le concept même de devenir père, et noyait le peu qu'il avait dans les bars à traîner avec des inconnus. Et pourtant, Isabelle, Judith, Vicky, Annie, toutes le décrivent comme un homme en quête d'absolu, solitaire, dont l'acte d'écrire le rendait mutique, et sa vision personnelle de la société, invivable.
Il était devenu un sujet de conflit permanent au sein de sa
famille, « depuis qu'il avait quitté la maison familiale, il avait
l'impression de dérailler, il s'échappait du réel, il se contrôlait comme il
pouvait, mais sa tête lui jouait des tours, il était amené à croire qu'il était
cerné par des ennemis ou qu'il mourrait très jeune, si bien qu'il devait se
dépêcher de faire quelque chose de sa vie »
Dès lors, impressionné par la lecture d'Aurélia de
Nerval, Sorel se persuade que la folie guette inexorablement les créateurs, et
s'enfonce dans la paranoïa à la manière des personnages de Maupassant...
Le lecteur prend plaisir à suivre l'enquête de journaliste et
découvre avec lui un écrivain fictif méconnu qui est allé au bout de sa logique
personnelle. Mieux le connaître pour ensuite le réhabiliter à travers un
ouvrage permettrait à Sorel de sortir de l'anonymat, tel un phénix renaissant
de ses cendres. Néanmoins, force est de constater que cette quête n'est pas
sans dommage. A force de vouloir établir des connexions pour dresser un portait
au plus juste de l'écrivain, le narrateur en vient, malgré lui, à vivre dans
son ombre. Comme lui, il est en proie à la procrastination, lui qui était jadis
régulier ; comme lui, il affectionne la solitude et rejette les élans
amoureux ; comme lui enfin, son désir de savoir est tel qu'il se sent prêt
à mettre de côté sa misérable vie privée.
« Je me réveillai un matin à l'aube en ayant en tête
l'image d'un navire, avec ses œuvres vives, c'est à dire la partie de la coque
immergée dans l'eau, par opposition aux œuvres mortes, la partie émergée »
Ainsi, Oeuvres vives devient aussi le roman d'une
obsession, du désir d'écrire une biographie dont on sait dès le départ qu'elle
sera inachevée, incomplète, inclassable. En tout cas, force est de constater
que l'écrivain maudit du Havre, à défaut de marquer les esprits par sa
littérature, n'a laissé personne indifférent parmi ceux qui ont croisés son
chemin. Par un habile maniement de la trame, Linda Lê amène son récit vers une
inexorable voie sans issue, qui fait donc écho au suicide de l'auteur.
Finalement, les témoignages enregistrés deviendront les feuillets jamais
retranscrits par le journaliste, ultimes variations à propos d'un homme ayant
soif d'absolu, « rongé de l'intérieur » à trop vouloir
s'agripper à « ses idées fossiles »