vendredi 27 juin 2014

Des anges mineurs, Antoine Volodine

Ed. Points Seuil, octobre 2001, 217 pages, 6.1 euros

Hallucinant, halluciné, hallucinatoire


Un lecteur non averti plongera « tête baissée » dans les quarante-neuf narrats* qui composent Des Anges Mineurs. Mais, très vite, il se rendra compte que le style est difficilement identifiable : le narrateur change à chaque fois et chante un monde à l’agonie. Il peut être « un moine-mendiant » « envoyé en mission d’observation » qui, au moyen de l’apnée, doit « évaluer l’état du monde et recueillir les éléments sur les peuplades qui l’habitent encore, sur leur culture et leur avenir », ou une scientifique qui aide à mettre bas des ourses blanches enfermées, ou encore une vieillarde alerte, bicentenaire, chamane à ses heures perdues, chargée de créer un être protéiforme dont l’objectif sera de rendre le monde plus égalitaire. 
On se perd vite dans le labyrinthe de ces personnages, mais de cette incompréhension naît une réelle fascination sur le contenu. Ainsi, à travers ces voix qui semblent se perdre dans un monde fait de silence, Volodine décrit un univers à l’agonie au décor ruiniforme, « aux couleurs épouvantables », dont « les chicots d’entrepôts effondrés » résistent au temps.

Les survivants évoluent dans des villes fantômes où le cannibalisme est courant puisque les fils peuvent engraisser leur mère pour s’en délecter plus tard. Cette vision apocalyptique et hallucinatoire, dans laquelle tout espoir semble avoir disparu, a valu à cette œuvre d’être rapprochée de la science-fiction. 
Or, Volodine refuse farouchement à être intégré dans la littérature officielle, c’est pourquoi, en 1991, il fonda le post-exotisme dont le texte présent en fait partie intégrante et de ce fait, doit être considéré comme « un objet marginal et rien d’autre ».
La lecture hermétique des Anges Mineurs déroute et fascine. En effet, le lecteur perd ses repères spatio-temporels malgré les quelques dates précisées : ce qui paraît une heure pour l’un devient quinze semaines d’absence pour l’autre. Il y a quelques retours en arrière, lorsque la société souffrait du capitalisme et tentait de se survivre à elle-même. En tout cas, chaque narrat explique « la saleté fondamentale de l’existence » sur « une planète de terre écorchée, de forêts saignées à cendre, une planète d’ordure »
Un seul être pourrait mettre un terme à ce monde de misères. Il s’appelle Will Scheidmann, c’est un être protéiforme cousu par « ses grands-mères » anciennes pensionnaires d’une maison de retraite, et qui un jour, ont « oublié » de mourir. Lors de la « gestation » de Will dans les couvertures des vieillardes, elles lui ont chanté les valeurs d’un monde égalitaire, un idéal nouveau où riches et pauvres n’existeraient plus, bref un autre monde que le capitalisme qui a causé la ruine de tout. Une fois né, il devra rassembler la population survivante et créer une nouvelle ère. Or, les vieillardes, réunies « en milice de fer » veillent et se rendent compte très vite que Will s’éloigne dangereusement des objectifs de départ. Récupéré et fait prisonnier, c’est lui qui va devenir la voix des narrats chantés aux bicentenaires tel un aède de la fin du monde. 
 Finalement, c’est un nouveau constat d’échec, et on peut se demander si le désespoir et l’agonie ne sont pas synonymes de « renouveau » dans l’univers de Volodine. Ainsi, le narrat est porteur d’une nouvelle forme de poésie dans laquelle les images apocalyptiques deviennent merveilleuses et transcendées. 
En conclusion, une œuvre hallucinante de par le style employé, hallucinée de par son contenu à la fois réel et mystique, et enfin, hallucinatoire, à cause de la vision du monde transmise au lecteur.



* Définition du narrat selon Antoine Volodine : « j’appelle narrats des textes post-exotiques à cent pour cent, j’appelle narrats des instantanés romanesques qui fixent une situation, des émotions, un conflit vibrant entre mémoire et réalité, entre imaginaire et souvenir ».