mercredi 14 mai 2014

Le regard des princes à minuit, Eric L'Homme

Ed. Gallimard Jeunesse, collection Scripto, mars 2014, 144 pages, 7.65 euros

Décontenancer l'époque dans laquelle nous vivons


La liberté est un "mot fourre-tout", utilisé partout, si bien qu'il en perd son essence et sa signification originelle. Dès lors, il convient de renouer avec la vieille époque, celle où jadis on entrait dans l'âge adulte en bravant l'impossible.
En s'inspirant des Sept bacheliers ou l'épreuve périlleuse écrit par Cosme d'Aleyrac en 1190, Eric L'Homme propose sept nouvelles  mettant en avant sept chevaliers des temps modernes qui, avec courage et détermination, vont passer une épreuve pour donner un sens au mot liberté, et par le même temps, devenir adulte.
Aller de l'avant, sans un regret pour le passé, tel est le maître de mot. Ainsi,  la première nouvelle se déroule en forêt de Brocéliande, au lieu dit le Val-sans-retour, car il "est le territoire de nos errances personnelles. On dit qu'il est sans retour, car lorsqu'on s'engage sur le chemin des quêtes, on ne peut pas revenir en arrière."
Le bachelier des temps modernes n'a rien à envier de celui du Moyen-Age. Il doit être encore celui qui sort du troupeau, "qui pense et agit par lui-même", comme Ulysse qui dit se prénommer Personne devant le Cyclope Polyphème dans le chant IX de l'Odyssée d'Homère. Ainsi, les jeunes gens ne doivent ni se fier aux Musées "cimetières du passé", ni aux médias:
"La télévision ment, elle tue notre monde (...) en jouant sur nos émotions, la télévision manipule. En détournant notre attention sur des choses futiles, elle nous abrutit. En nous imposant ce qu'il faut penser, elle nous endoctrine."
Alors, escalader Notre Dame de Paris, se perdre dans la nuit en forêt de Brocéliande, être adoubé dans les souterrains parisiens sont des actions symboliques ayant pour but de "décontenancer l’époque dans laquelle nous vivons. Autant d'actes qui sortent de l’ordinaire pour se sentir vivant et unique.

On adhère ou non aux messages véhiculés par le recueil, néanmoins on ne peut que saluer le format adopté par l'auteur pour écrire ses sept histoires, dont, chacune, illustre une morale du recueil de 1190. Les récits sont parfois redondants, on frise l'invraisemblable par moment, mais l'idée est belle!
Çà et là, on note quelques "fulgurances littéraires" dont celle-ci:
"Une librairie qui ferme, c'est un phare qui s'éteint, laissant les hommes dériver, s'échouer ou se fracasser contre les récifs d'une époque."

Pour lecteur confirmé et avide d'originalité
A partir de 15 ans.