vendredi 7 mars 2014

Quand j'étais Jane Eyre, Sheila Kohler

Ed. 10/18, août 2013, traduit de l'anglais (USA/Afrique du Sud) par Michèle Hechter, 238 pages, 7.5 euros

Charlotte Bronte écrit...


Charlotte Bronte, au chevet de son père alité, remplit son carnet de son écriture fine. De ses souvenirs et de son entourage, elle y puise la matière de son nouveau roman, « elle écrit à partir de ce qu’elle sait de la vie, de la littérature, de l’amour, s’immergeant dans son récit sans gaspiller le temps du lecteur ni mettre sa patience à l’épreuve par de longs préliminaires. ».
 Pourtant, sa première œuvre, le Professeur, essuie les refus des maisons d’édition, mais il en faut plus à cette femme volontaire et acharnée pour renoncer à l’écriture. En effet, « écrire est sa façon de s’évader, de fuir cette cellule de solitude, d’obscurité et de désespoir. Son esprit est libre d’errer à sa guise. Elle ose s’affronter à ses humiliations, à ses peines et leur donner une structure. » 
Ainsi Jane Eyre prend forme et les personnages sont des avatars de l’entourage de l’écrivain. Or, Charlotte n’est pas la seule de la famille à prendre la plume. Ses deux sœurs, Anne et Emily, sont elles aussi des auteurs de poésie et de romans. Ensemble, elles subissent les refus éditoriaux, mais elles ne baissent pas les bras. Elles sont unies par leur passion commune, mais aussi par leur vie austère et routinière. De plus, leur frère Branwell, adoré mais craint, met leur patience à rude épreuve. Comme « la littérature ne pourrait et ne saurait être l’affaire d’une femme » tel que lui rappelle le poète Southey dans une lettre, Charlotte et ses sœurs prennent des noms de plume pour présenter leurs écrits.
En effet, qui pourrait croire que leurs intrigues, inspirées de leurs frustrations, de leur rage et de tous ceux qui les ont rabrouées ou ignorées, décrivant avec minutie la passion amoureuse, viennent d’un esprit féminin ? A défaut de vivre véritablement, elles subliment leurs espoirs déçus dans leur imaginaire livresque.
En fait, Sheila Kohler avance la théorie selon laquelle l’écriture des sœurs Bronté et leurs vies étaient intimement liées. De leurs expériences amoureuses et professionnelles contrariées, elles y ont puisé de quoi écrire des romans vraisemblables et forts en émotion. L’auteur insiste bien sur l’ambivalence de Charlotte, engoncée dans une existence peu exaltante, mais qui propose des textes à l’antithèse de sa vie. Ce qui fait la force de Quand j’étais Jane Eyre est la richesse du style, tout en rondeur, très dix neuvième siècle finalement. Les changements de points de vue au gré des chapitres donnent du rythme à l’ensemble et permettent une vision plus nette de cette famille austère, peu communicante, brisée dans ses rêves d’amour.