Ed. 10/18, août 2013, traduit de l'anglais (USA/Afrique du Sud) par Michèle Hechter, 238 pages, 7.5 euros
Charlotte Bronte écrit...
Charlotte
Bronte, au chevet de son père alité, remplit son carnet de son écriture
fine. De ses souvenirs et de son entourage, elle y puise la matière de
son nouveau roman, « elle écrit à partir de ce qu’elle sait de la vie,
de la littérature, de l’amour, s’immergeant dans son récit sans
gaspiller le temps du lecteur ni mettre sa patience à l’épreuve par de
longs préliminaires. ».
Pourtant, sa première œuvre, le Professeur,
essuie les refus des maisons d’édition, mais il en faut plus à cette
femme volontaire et acharnée pour renoncer à l’écriture. En effet,
« écrire est sa façon de s’évader, de fuir cette cellule de solitude,
d’obscurité et de désespoir. Son esprit est libre d’errer à sa guise.
Elle ose s’affronter à ses humiliations, à ses peines et leur donner une
structure. »
Ainsi Jane Eyre prend forme et les personnages
sont des avatars de l’entourage de l’écrivain. Or, Charlotte n’est pas
la seule de la famille à prendre la plume. Ses deux sœurs, Anne et
Emily, sont elles aussi des auteurs de poésie et de romans. Ensemble,
elles subissent les refus éditoriaux, mais elles ne baissent pas les
bras. Elles sont unies par leur passion commune, mais aussi par leur vie
austère et routinière. De plus, leur frère Branwell, adoré mais craint,
met leur patience à rude épreuve. Comme « la littérature ne pourrait et
ne saurait être l’affaire d’une femme » tel que lui rappelle le poète
Southey dans une lettre, Charlotte et ses sœurs prennent des noms de
plume pour présenter leurs écrits.
En
effet, qui pourrait croire que leurs intrigues, inspirées de leurs
frustrations, de leur rage et de tous ceux qui les ont rabrouées ou
ignorées, décrivant avec minutie la passion amoureuse, viennent d’un
esprit féminin ? A défaut de vivre véritablement, elles subliment leurs
espoirs déçus dans leur imaginaire livresque.
En fait,
Sheila Kohler avance la théorie selon laquelle l’écriture des sœurs
Bronté et leurs vies étaient intimement liées. De leurs expériences
amoureuses et professionnelles contrariées, elles y ont puisé de quoi
écrire des romans vraisemblables et forts en émotion. L’auteur insiste
bien sur l’ambivalence de Charlotte, engoncée dans une existence peu
exaltante, mais qui propose des textes à l’antithèse de sa vie. Ce qui
fait la force de Quand j’étais Jane Eyre est la richesse du
style, tout en rondeur, très dix neuvième siècle finalement. Les
changements de points de vue au gré des chapitres donnent du rythme à
l’ensemble et permettent une vision plus nette de cette famille austère,
peu communicante, brisée dans ses rêves d’amour.