La France, le Sida, les années 80, l'amour, la haine, la politique...
"Et moi? Et bien je m'appelle Elizabeth Levallois. Je suis l'amie de Willie, la collègue de Doumé, l'amante de Leibo."
La narratrice, Elizabeth Levallois entreprend de raconter les histoires de ses deux amis les plus proches: Dominique Rossi, alias Doumé, fondateur de Stand Up, et son amant puis son pire ennemi, William Miller, alias Willie, jeune marginal excentrique, pour qui "se brouiller était une forme d'amour chez lui". Au delà de leurs histoires, c'est l'Histoire des années 80, celle ou est apparue le Sida et le choc provoqué dans la communauté homosexuelle d'une part, et dans la société d'autre part. Ainsi, pour représenter la société bien pensante de l'époque, Elizabeth choisit son amant et ami de Doumé, Leibowitz (Leibo)
"Voilà, au bout de cinq ans, c'était rentré dans les mœurs. Le Sida était là, Stand aussi. On mourait, on protestait, on se protégeait, on donnait du fric, on cherchait. 9a faisait partie de la vie, de l'époque, de tout."
Or, très vite, un mouvement anti Stand Up fait son apparition, mené tambour battant par Willie, et prônant l'amour libre, non protégé, même si on est séropositif. Désormais, Willie et Doumé, c'est de l'histoire ancienne, "une période de repli" que chacun aimerait tellement oublié qu'ils ont décidé de se détester ou plutôt Willie fait de Doumé la personne à abattre médiatiquement et socialement. Dès lors, tous les coups sont permis, et Elizabeth assiste, impuissante à la montée de leur haine commune.
"Willie était incapable d'être méchant", pense-t-elle." Il ne croyait pas vraiment à l'existence des autres. Il concevait sa vie comme une expérience et il attendait des autres aucune vérité, aucun jugement. (...) William Miller a semé dans le monde alentour, les pires saloperies, et il n'y avait en lui, en germe que de la bonté."
Parallèlement, Leibowitz, philosophe et homme de gauche ayant grandi dans une famille ouvrière, homme médiatique et écrivain devient un politicien de droite. Mais, comme il ne supporte pas cette nouvelle étiquette, il s'évertue à expliquer qu'il est de droite "mais de manière critique, et en contre-pied, contrairement à ceux qui y sont toujours de plein pied."
Seulement l'histoire sociétale dépasse les protagonistes et les emmène au delà de leurs désirs ou de leurs peurs, emportant avec elle leur meilleure part...
Tristan Gracia nous offre un roman fascinant sur les années 80 en France en racontant la haine entre deux hommes qui se sont jadis aimés. Elizabeth n'est qu'un témoin (omniscient) de ce qui se joue, la seule qui restera (peut-être) entière de tous ces coups-bas et hypocrisies. Dans cette période où on croyait avant tout que le Sida était une affaire politique, le lecteur se rend compte à quel point son apparition a été un séisme dont l'épicentre ne se trouva pas que dans la communauté homosexuelle.
Les personnages sont si vraisemblable et cohérents qu'on pourrait croire qu'ils aient vraiment existé. Leurs psychologies complexes sont taillées au scalpel, et offertes au lecteur.
La part fictionnelle de cette œuvre est d'une incroyable richesse et d'une très grande cohérence. D'ailleurs, il écrit en quatrième de couverture:
"Ce conte moral n'est pas une autofiction. C'est l'histoire, que je n'ai pas vécue, d'une communauté et d'une génération déchirées par le Sida, dans des quartiers où je n'ai jamais habité. C'est le récit fidèle de la plupart des trahisons possibles de notre existence, le portrait de la pire part des hommes et - en négatif - de la meilleure.»
Finalement, il nous offre un roman complet sur la forme et sur le fond qu'on prend plaisir à lire pour sa grande qualité littéraire.